Quel bilan tirez-vous de la création il y a dix ans de Paris Musées, établissement public coiffant l’ensemble des musées de la Ville de Paris ?
La création de Paris Musées a permis de donner plus de visibilité à tous les musées de la Ville de Paris, de renforcer les recettes propres et d’augmenter nos moyens d’action.
Quelles sont vos sources de financements ?
Nos recettes sont multiples et complémentaires. La première source de financement est la subvention de la Ville de Paris, de l’ordre de 55 millions d’euros. Elle est stable en 2023 par rapport à 2022. Parmi nos recettes propres, la billetterie apporte environ 20 millions d’euros. Nous avons diversifié nos ressources ces dernières années avec le mécénat, les locations d’espace, les projets internationaux, les audio-guides. En 2013, les recettes propres représentaient 13 % de notre budget contre 39 % aujourd’hui. Lors de la pandémie, nous avons aussi pu bénéficier de subventions exceptionnelles de la Ville de Paris : 10 millions d’euros en 2020 et de 4 millions d’euros en 2021 pour absorber les déficits.
Justement, comment les musées de la Ville de Paris abordent-ils la période postpandémie ?
Les musées sont portés par la très belle fréquentation des expositions et des collections. En 2022, les musées de la Ville de Paris ont accueilli 4,5 millions de visiteurs. C’est historique, puisque les quatorze sites enregistraient en moyenne 3 millions d’entrées avant la crise. Mais 2023 est aussi la première année depuis 2015 où tous les musées et tous les sites de la Ville de Paris vont être ouverts. La politique de rénovation complète des musées, qui a démarré en 2015, s’achève avec la réouverture le 15 mars du musée Bourdelle. La rénovation du musée Carnavalet est vraiment un très beau succès public. Comme le Petit Palais, il a accueilli plus d’un million de visiteurs et il ne désemplit pas. Nous sommes dans une phase de renouveau. La crise nous a permis de réinterroger certains enjeux, le numérique par exemple, mais aussi la façon de recevoir nos publics et de préparer les visites avec de nouveaux modes de réservation par Internet. Nous affinons notre stratégie de développement sur certains sujets, notamment à l’international. La crise de l’énergie, l’inflation des coûts, dont celui du transport des œuvres, ont de réels impacts sur les budgets de production de nos expositions. Notre politique d’engagement environnemental figure par ailleurs depuis plusieurs années parmi nos priorités.
Comment baisser les coûts des expositions temporaires tout en étant plus écologique ?
Nous réutilisons les scénographies sur deux ou trois expositions. Nous faisons appel à des cimaises mobiles et des vitrines qui peuvent passer d’un musée à un autre. Pour maintenir notre programmation, nous favorisons les coproductions, comme ce fut le cas pour l’exposition « Oskar Kokoschka. Un fauve à Vienne » [au musée d’Art moderne, qui a fermé en février 2023], montée en partenariat avec le musée Guggenheim de Bilbao. La liste des œuvres communes permet de mutualiser le coût de fabrication des caisses. Nous avons aussi mis en place un réseau d’itinérance en France pour essayer de faire circuler les expositions entre les villes françaises. Nous avons par exemple travaillé cette année avec les musées des Beaux-Arts de Nantes, de Rennes et de Dijon.
La hausse des coûts de l’énergie va-t-elle vous inciter à abandonner la gratuité des collections permanentes ?
Non, la gratuité n’est pas du tout remise en cause, elle constitue un fondement incontournable de notre politique à l’égard des visiteurs réaffirmé par la Maire de Paris et par la présidente de Paris Musées, Carine Rolland. Nous avons une politique tarifaire incitative avec la carte Paris Musées au tarif annuel de 20 euros pour les jeunes, de 40 euros pour un adulte et de 60 euros pour deux personnes permettant de visiter toutes les expositions. Nous sommes moins dépendants du public touristique dans certains musées que dans d’autres. La fréquentation des Catacombes, qui attire beaucoup celui-ci, a vraiment repris. En termes financiers, la fréquentation record en2022 a permis d’obtenir des recettes de billetterie plus importantes que ce que nous escomptions. C’est donc positif pour Paris Musées.
Quels sont vos grands projets pour les mois et les années à venir ?
Nous avons de grands objectifs qui nous sont fixés par la Ville de Paris dans le cadre de notre contrat d’objectifs et de performance. Au niveau du plan de rénovation, le prochain établissement qui en bénéficiera sera le musée de la Vie romantique, dont la scénographie date de la fin des années 1980. Les travaux démarreront juste après les Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Dans l’immédiat, nous allons procéder à la réouverture du musée Bourdelle, avec un atelier restauré, la création d’un café au premier étage et un parcours de médiation entièrement repensé. L’ouverture est prévue[a eu lieu] le 15 mars. Nous avons également tout un projet de rénovation du parcours des Catacombes. Nous allons revoir les panneaux de médiation, en lien avec le comité scientifique, ainsi que tout l’éclairage du site. Nous allons poursuivre par ailleurs les travaux du musée d’Art moderne en rénovant les bureaux des équipes et démarrer le chantier du Petit Palais, en restaurant notamment son péristyle. Enfin, dans le cadre de la rénovation du parvis de Notre-Dame, nous travaillons à un nouveau projet pour la Crypte archéologique en 2025. Nous avons en outre des projets de développement des publics à l’égard des jeunes et des familles avec, par exemple, la mise en place de week-ends gratuits dédiés.
Quelles sont vos autres actions en faveur du public ?
Nous développons de nombreux projets pour l’éducation artistique et culturelle et à l’égard du champ social qui complètent les programmes existants comme « Un été au musée », deux mois estivaux au cours desquels les groupes de jeunes et du champ social sont accueillis gratuitement pour diverses médiations et notre « Semaine solidaire ». Nous sommes en partenariat à la fois avec l’académie de Paris, l’académie de Créteil, celle de Versailles et une quinzaine d’associations comme Aurore, Emmaüs, la Croix-Rouge… Nous coordonnons la Semaine solidaire au mois de juin durant laquelle nous réunissons tous les acteurs du champ social dans les musées pour leur présenter notre programmation à venir, et les inviter à s’en emparer.
Parmi les nouveautés, nous avons également le projet de mettre en place une convention avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (APHP) et le Fonds d’art contemporain de la Ville, que nous allons soumettre à notre conseil d’administration fin mars. Des œuvres du Fonds d’art contemporain seront installées dans des hôpitaux, et Paris Musées organisera non seulement l’accueil des soignants et des patients dans les musées, mais aussi une médiation à l’hôpital face à ces œuvres. Il s’agira d’une convention de trois ans, de 2023 à 2025. Parmi les six établissements acteurs du projet en cours devraient être impliqués des services de gériatrie, d’oncologie, de neurologie, de diabétologie ou de psychiatrie… à Paris comme à Bobigny, au Kremlin-Bicêtre ou à Ivry-sur-Seine. C’est vraiment un projet de fond autour de l’art et son rôle dans la santé, le mieux-être. Il s’agit d’un important engagement. Nous avions déjà fait un projet avec l’hôpital Sainte-Anne. Tout un groupe de patients et de soignants a travaillé avec l’équipe de conservation de la Maison de Victor Hugo. Ils ont été collectivement les commissaires associés d’une exposition. Ils sont allés dans plusieurs musées de la Ville, ont choisi des œuvres autour de la thématique du regard dans les différentes collections et ont créé ensemble une exposition qui s’appelait « Regard ». Ces patients sont devenus également les médiateurs de l’exposition.
Quelle est votre stratégie en matière d’offre numérique pour le public ?
Dès sa création, Paris Musées a eu la volonté d’innover dans ce domaine. Nous poursuivons bien sûr notre politique d’accompagnement des expositions et des collections. Offrir un parcours numérique de visite, c’est classique, mais l’accompagner par une médiation numérique au cœur des expositions et des collections, c’est très particulier, et Paris Musées l’a fait très tôt. Nous avons donc une offre assez riche et disséminée entre les différents musées. Nous avons aussi des thématiques transversales. Pour les regrouper, nous lancerons à l’automne 2023 une plateforme de contenus. Nous avons aussi très tôt mis en ligne en open content plus de 378 000 œuvres des collections, marquant notre volonté de partage avec le plus grand nombre et de donner à chacun la possibilité de créer son musée idéal.
Parmi les projets numériques, il y a aussi les Micro-Folies dont une nouvelle vient d’être inaugurée dans le 20e arrondissement de Paris.
C’est un projet que nous avons mis en place avec La Villette, toujours dans cette volonté de rendre nos collections accessibles par tous. Ce sont donc 500 œuvres qui pourront être visibles dans l’ensemble des Micro-Folies. Nous avons lancé cette offre dans le 20e arrondissement, mais dès aujourd’hui, elle est visible dans l’ensemble des Micro-Folies pour ceux qui le souhaitent. C’est aussi une belle façon de déployer nos collections, de les rendre accessibles sur le territoire, mais également dans le monde.
Cette visibilité passe aussi par des itinérances d’expositions. Quels sont vos projets dans ce domaine ?
Nous menons à l’international une politique de coproductions d’expositions pour des raisons écologiques, économiques et de notoriété. Nous organisons en effet l’itinérance de nos collections. Le musée d’art moderne (MAM) le fait depuis plusieurs années et continue de le faire. Par exemple, l’exposition « Les Années Fauves » réalisée avec les collections du MAM sera montrée de juillet 2023 à janvier 2024 à la Fondation Pierre Gianadda, à Martigny, en Suisse. L’exposition « Chanel » du Palais Galliera a été présentée à la National Gallery of Victoria [NVG], à Melbourne, en 2022, puis à Tokyo, avant le Victoria & Albert Museum, à Londres, cet automne. Cette année, l’exposition « Félix Ziem » organisée en2013 au Petit Palais ira à Évian, au Palais Lumière.
Quelle est votre politique dans le domaine environnemental ?
Elle a d’abord été portée par quelques personnes très engagées, qui ont vraiment fait un travail incroyable à Paris Musées. Nous avons décidé de généraliser cette approche à l’ensemble des musées et des directions. Nous avons créé en décembre 2022 un poste de responsable du développement durable RSE [responsabilité sociale et sociétale des entreprises]. J’ai porté cette création auprès du conseil d’administration qui a nous réellement soutenus. Nous allons passer à une autre dimension cette année. Nous avons consacré l’intégralité de notre séminaire de Paris Musées en décembre 2022 au sujet du développement durable. C’est vraiment un projet fédérateur qui mobilise toutes les équipes, quels que soient les secteurs d’activité, de l’accueil et la surveillance à la conservation. La scénographie de l’exposition « Walter Sickert » au Petit Palais [en 2022] était par exemple reprise à 100 % de la précédente. Depuis un an, nous avons aussi rallongé la durée des expositions à quatre mois et plus. Nous avons beaucoup travaillé avec le service des marchés pour instaurer des critères environnementaux pour l’ensemble de nos marchés publics. Enfin, nous avons mis en place un outil pour calculer le bilan carbone de nos expositions. La première à en bénéficier est l’exposition « Louis Boulanger, peintre rêveur » à la Maison de Victor Hugo [jusqu’au 5mars 2023]. À sa fermeture, nous aurons son bilan carbone exact. Nous allons, grâce à cette expérimentation, pouvoir déployer cet outil, d’abord pour six expositions en 2023, puis pour la totalité de celles organisées en2024. Pour nous, c’est un vrai engagement.
En 2024 se dérouleront les Jeux olympiques de Paris. Que prévoyez-vous spécifiquement ?
Il y a plusieurs enjeux, à la fois au niveau de la programmation à venir jusqu’aux Jeux olympiques et en matière de programmation des expositions pendant cette période. Tous les musées se sont engagés sur des modèles différents, mais de manière générale, ils ont pour la plupart retenu la thématique « art et sport » pour les prochains accrochages, dans le cadre de l’Olympiade culturelle. Au Palais Galliera, l’accrochage portera sur le corps en mouvement, à partir des collections. Est prévue par ailleurs toute une programmation événementielle, sur le modèle des week-ends en famille qui monteront en puissance dans les prochains mois. Nous avons également conduit un beau projet numérique, « Paris Musées Olympiques », une série de podcasts. Chacun des musées a choisi une œuvre qui est vraiment liée au sport, et elle est racontée par un conférencier sur une thématique spécifique.
Paris Musée est aussi une maison d’édition. Quelle est votre politique éditoriale ?
Nous poursuivons notre politique d’édition en accompagnant scientifiquement les expositions par la publication d’un catalogue. L’inflation actuelle rend ces livres plus compliqués à produire, en raison notamment de l’augmentation du prix du papier. Mais nous maintenons notre volonté d’éditer un catalogue par exposition. Nos éditions sont bénéficiaires, donc c’est un vrai beau succès, qui est pour beaucoup porté par la fréquentation des expositions. Certains ouvrages ont même été réédités.
Et qu’en est-il de votre budget d’acquisition ?
Nous disposons d’un budget global fourni par la Ville pour l’ensemble des musées, qui est de 5 millions d’euros pour la mandature. Nous répartissons ensuite les fonds entre les différents musées et en fonction des opportunités du marché. Nous recevons aussi de nombreux dons. La Société des amis du musée d’Art moderne de Paris est par exemple un soutien extraordinaire à la fois pour les acquisitions, mais également de manière générale pour les projets de l’institution. Au total, nous conservons environ un million d’œuvres. À terme, nous devrons d’ailleurs construire de nouvelles réserves.
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parismusees.paris.fr