Pourriez-vous revenir brièvement sur l’histoire des Frac (fonds régionaux d’art contemporain)?
Née au début des années 1980, l’idée des Frac est liée à l’histoire de la décentralisation culturelle en France et a consisté à lancer des collections d’art contemporain en région. Leur singularité réside dans leur capacité à collaborer avec plusieurs institutions et lieux locaux – comme des écoles, des associations ou des galeries municipales, des musées, centres d’art et lieux patrimoniaux. Chaque Frac a toutefois son identité propre.
Quelle est la spécificité de la collection du Frac Grand Large ?
D’abord le design, qui a été favorisé dès le départ, grâce à Claude Courtecuisse, et que j’ai souhaité continuer de soutenir. Dans l’exposition des 40 ans du Frac Grand Large, « Horizon(s) », nous avons pris soin de bien intégrer le design, ce qui se fait très peu en France – mais beaucoup plus côté anglo-saxon, ou ailleurs. Ensuite, les images et la critique des médias, la photographie en particulier, occupent une place importante.
Vous revendiquez deux autres axes : la mobilité et le rapport entre art
et société.
La notion de mobilité me semble particulièrement intéressante parce qu’elle permet de dépasser un axe simplement thématique, elle désigne aussi pour nous la porosité entre les médiums. Ceci est très présent dans la collection depuis le début, avec la sculpture qui convoque la picturalité, le lien entre la photographie et d’autres disciplines comme l’installation. Cette mobilité formelle m’intéresse dans le sens qu’elle permet d’élargir à des questions plus contemporaines, politiques, économiques et esthétiques.
La collection présente de nombreuses œuvres des avant-gardes des années 1960 et 1970.
Le premier comité d’acquisition s’est effectivement concentré sur des artistes représentatifs des mouvements de l’avant-garde, dans une volonté de pédagogie et de filiation, afin de pouvoir organiser des présentations qui facilitent la découverte de ce nouveau patrimoine. Ces artistes de l’arte povera, de Fluxus ou de l’art conceptuel n’étaient d’ailleurs pas très présents dans les collections des musées. En parallèle, le Frac Grand Large s’est constamment enrichi d’œuvres d’artistes contemporains régionaux ou internationaux. Dans l’exposition actuelle des 40 ans, nous montrons des pièces acquises à différentes périodes. Par exemple, Christine Deknuydt, une artiste de la région, a réalisé dès la fin des années 1980 des dessins au cyanure d’où émergent des figures en tension entre le fond et la surface. Présentés en série, ces dessins résistent à la définition d’un horizon unique. Ils sont montrés en regard d’une œuvre acquise pendant l’un des premiers comités, Blue Sail, cette voile bleue de Hans Haacke qui date de 1965, représentative de sa pratique des débuts et de sa sensibilité écologique.
Dans quelle mesure les politiques d’acquisition sont-elles liées aux programmes d’exposition ?
Elles le sont fortement. Les expositions donnent des éclairages renouvelés sur les œuvres de la collection et suscitent régulièrement des acquisitions. Ce qui me paraît fondamental, c’est de « situer » les œuvres. La localisation actuelle du Frac Grand Large au carrefour maritime de l’Europe du Nord, le contexte industrialo-portuaire et les politiques migratoires sont des données qui agissent sur le programme artistique et culturel. Il y a aussi l’histoire de l’institution et la mémoire du site d’implantation, abritantautrefois les Ateliers et Chantiers de France, qui jouent un rôle important. En 2013, le Frac s’est implanté dans une ancienne halle de construction navale, réhabilitée et complétée par un bâtiment mitoyen des architectes Lacaton et Vassal dans le quartier du Grand Large. C’est une architecture en vastes plateaux, pensée pour les œuvres et leur mise en valeur avec des volumes différenciés, mais aussi pour la circulation des visiteurs en tenant compte des accès depuis la ville et le littoral balnéaire.
D’où « Grand Large »…
Exactement. Avec le changement de nom des régions, le Nord-Pas-de-Calais n’existant plus en tant que tel, il nous a paru intéressant de revoir la dénomination du Frac et de l’appeler du nom de son quartier. C’est à la fois très évocateur, cela correspond bien à l’implantation géographique, puisque nous sommes situés précisément face à la mer, avec un panorama assez exceptionnel, et une manière d’être facilement localisé par les habitants. Lorsque l’on sort de la gare et que l’on demande le Grand Large, les gens connaissent, c’est concret.
Votre site permet la coexistence des lieux d’exposition et de la totalité des réserves.
Ce qui est très cohérent avec la mission première d’un Frac, axée sur la circulation des œuvres en région. Ce lieu est donc, pour moitié, un espace de réserves très accessible. Nous avons aussi cette spécificité de pouvoir conserver les œuvres en caisse, ce qui les rend très manipulables : au moment de chaque acquisition, nous prévoyons des caisses adéquates au transport et au stockage, une manière d’être efficace et durable.
L’un de vos espaces s’appelle le « bureau de la collection ». De quoi s’agit-il ?
C’est un espace de convivialité et d’information visible dès l’entrée, avec un grand mur d’accueil qui présente la carte des partenariats et des expositions du trimestre en région. C’est aussi un lieu de consultation du site Videomuseum [réunissant des bases de données numériques des collections publiques d’art moderne et contemporain] et des catalogues papier de la collection, et enfin un espace de médiation ouvert aux familles. Plus généralement, la pédagogie, que nous faisons de nombreuses manières différentes, dans les murs et hors les murs, joue un rôle essentiel.
À quelle fréquence les expositions se renouvellent-elles ?
Nos expositions in situ durent assez longtemps, entre six et huit mois, avec une programmation qui se chevauche et trois temps forts d’ouverture. Pour nos publics, et notamment les publics scolaires, un accès sur la durée est très important. Nous présentons des expositions de groupe et des focus monographiques, comme récemment l’exposition consacrée à Yona Friedman à l’occasion du dépôt qui nous a été fait d’un grand nombre d’œuvres de l’artiste. Cela a été ensuite le point de départ de la circulation de ce prêt dans plusieurs lieux de la région.
Une autre de vos initiatives est la création de la Triennale Art & Industrie.
La Triennale est une collaboration du Frac et du LAAC (Lieu d’art et action contemporaine), à Dunkerque, en partenariat avec le CNAP (Centre national des arts plastiques) et, pour la deuxième édition qui se déroulera du 10 juin 2023 au 7 janvier 2024, avec le Centre Pompidou, à Paris. S’y ajouteront des prêts extérieurs ainsi que des productions d’artistes, avec notamment des œuvres dans l’espace public et de nombreux projets avec les habitants. Le thème de la première édition, en 2019, était « GIGANTISME »; Géraldine Gourbe et Grégory Lang avaient choisi de revisiter l’héritage des Trente Glorieuses et les interactions entre art, design et industrie. Pour la deuxième édition, le commissariat a été confié à Anna Colin et Camille Richert. Sous l’intitulé « Chaleur humaine », il s’agira de regarder ce que les défis énergétiques apparus depuis la fin des Trente Glorieuses ont entraîné pour l’art, le design et l’architecture; réciproquement, il s’agit également d’observer ce que ces pratiques ont apporté aux discours, représentations et enjeux énergétiques et écologiques planétaires.
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Frac Grand Large – Hauts-de-France, 503, avenue des Bancs-de-Flandres, 59140 Dunkerque.