La reconnaissance internationale se sera fait attendre. Ce n’est qu’à partir des années 2000 que l’œuvre de Lina Bo Bardi (1914-1992), figure majeure de l’architecture moderniste au Brésil d’origine italienne, traverse véritablement les frontières de ses pays de naissance et d’adoption. La gloire posthume gagne progressivement les États-Unis et l’Europe, notamment par le biais de premières grandes publications monographiques et l’inclusion de Lina Bo Bardi dans d’importantes manifestations mondiales comme la Biennale d’architecture de Venise.
Après une exposition dans le pavillon central des Giardini sous le commissariat de l’ar-chitecte japonaise Kazuyo Sejima en 2010, un Lion d’or spécial in memoriam pour la totalité de sa carrière est décerné à Lina Bo Bardi en 2021. Et pour la première fois, en 2024, la Biennale d’art de Venise a mis à l’honneur, dans la section Nucleo Storico, l’une de ses réalisations les plus emblématiques : le fameux chevalet de verre et de béton. Conçu pour le Museu de Arte de São Paulo Assis Chateaubriand (MASP), inauguré en 1968, ce système d’accrochage permet de se passer tout à fait de murs et cimaises pour la présentation des œuvres, lesquelles semblent flotter dans l’espace ouvert de la galerie.
EXTENSION DU VÃO LIBRE
Aucun parcours n’est imposé, les jeux de transparence et d’opacité favorisent la curiosité et la spontanéité des visiteurs, les éléments didactiques et autres cartels se trouvant relégués au verso du dispositif. Son projet muséographique, désormais référence incontournable maintes fois revisitée, a d’abord déclenché de vives critiques. Revendiquant la portée révolutionnaire de son geste, Lina Bo Bardi a publié en 1970 des Explicações sobre o Museu de Arte (Explications sur le musée d’art): « Je tiens à préciser que dans le projet, j’avais l’intention de détruire l’aura qui entoure un musée [en présentant] l’œuvre d’art comme travail, comme prophétie d’une œuvre à la portée de tous. » Dans une entreprise générale de remise en question de l’autorité de l’institution et de la hiérarchie des arts, Lina Bo Bardi étend alors l’usage du vão libre (ou open space de la salle d’exposition) à la configuration d’ensemble d’un musée tourné vers la ville et la vie publique au sens large.
Comme le souligne l’historien Zeuler R. Lima dans son essai consacré à cette architecte*1, laquelle fut aussi commissaire d’exposition, scénographe, designer, artiste, auteure, enseignante et activiste : « Plus qu’un vocabulaire formel, [l’]héritage [de Lino Bo Bardi] réside dans l’attitude toujours renouvelée de penser son rapport au sens de la culture […] Son action créatrice [s’étant] toujours appuyée sur la volonté d’articuler des principes critiques qui guidaient le rôle des architectes, dans le hic et nunc des relations sociales. » L’absence de style en tant que tel – notion inopérante chez cette architecte qui dit avoir choisi la liberté plutôt que la beauté (l’un n’empêchant pas l’autre cela dit) –traduit une approche plus anthropologique qu’esthétique d’une architecture au service d’un nouvel humanisme du musée.
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*1 Zeuler R. Lima, Lina Bo Bardi. L’architecture comme action collective, Paris, Institut national d’histoire de l’art, 2024.