Après les récentes expositions sur la scène italienne qui se sont tenues en France, « Entrare nell’opera » (Musée d’art moderne, Saint-Étienne, 2020), « Vita Nuova. Nouveaux enjeux de l’art en Italie 1960-1975 » (MAMAC, Nice, 2022) et « Renverser ses yeux. Autour de l'Arte Povera » (Jeu de Paume-Le Bal, Paris, 2022), la Bourse de Commerce-Pinault Collection propose une exposition intitulée « Arte Povera » (commissariat : Carolyn Christov-Bakargiev).
Le terme Arte Povera a été créé en 1967 par l’historien de l’art, critique d’art et commissaire d’exposition Germano Celant (1940- 2020) pour désigner le travail d’une nouvelle génération d’artistes italiens essentiellement actifs à Bologne, Gênes, Milan, Rome et Turin (dont le nombre variera au fil des premières expositions historiques).
Dans une Italie de la fin des années 1960, à peine sortie du miracolo economico, qui s’industrialise à marche forcée et est marquée par de fortes tensions politiques, ces jeunes artistes créent à partir de gestes simples, anti-spectaculaires, en utilisant des matériaux primaires porteurs d’énergie et volontairement anti-technologiques pour développer une réflexion dans laquelle l’humain et la nature (dans une prise de conscience écologique) se retrouvent au cœur de la création.
Mais alors même que l’Arte Povera est devenue au fil des décennies une « étiquette » pour identifier à l’échelle internationale leur travail (Germano Celant en a fait lui-même son historisation) et à s’imposer face à la domination artistique américaine, cette étiquette a contribué à éclipser toute la vivacité d’une scène artistique italienne de ces débordantes années 1960-1970.
L’exposition présente les treize artistes canoniques de l’Arte Povera (Giovanni Anselmo, Alighiero Boetti, Pier Paolo Calzolari, Luciano Fabro, Jannis Kounellis, Marisa Merz, Mario Merz, Giulio Paolini, Pino Pascali, Giuseppe Penone, Michelangelo Pistoletto, Emilio Prini, Gilberto Zorio). Elle s’articule entre un espace collectif (la rotonde) et des salles monographiques qui occupent l’ensemble des différents niveaux de la Bourse de commerce.
La rotonde accueille notamment un ensemble d’œuvres de la fin des années 1960, mais aussi des réalisations plus récentes des années 1970, 1980 ou 1990 de chacun de ces protagonistes. Regroupées au sol, elles sont liées symboliquement par la Macchia (1968) suspendue de Gilberto Zorio qui vient épouser la forme du dôme en verre.
La note d’intention est ici de rejouer le dispositif de certaines expositions notamment celles du Deposito d’Arte Presente à Turin - lieu autogéré par les artistes et cofondé par Piero Gilardi avec le soutien du collectionneur Marcello Levi et du galeriste Gian Enzo Sperone – où entre 1967 et 1969, ces artistes se retrouvaient et exposaient leur travail comme ils le souhaitaient.
Cependant, si cette temporalité rejouée est efficace visuellement, elle confronte des œuvres de différentes périodes qui dialoguent difficilement entre elles et surtout elle ne permet pas d’appréhender pleinement chacune des créations qui toutes affirment un profond renouveau esthétique.
Soulignons qu’il est à ce titre surprenant que Piero Gilardi ne figure pas dans cette exposition, lui qui a joué avec ses Tappeti-Natura et son activité de critique d’art un rôle essentiel dans ces années historiques de l’Arte Povera à Turin ou encore à Amalfi.
La suite de l’exposition s’organise autour de salles monographiques. Emilio Prini, le plus conceptuel et radical de tous, est montré dans les espaces du bas avec Gilberto Zorio, le plus alchimiste. Mario Merz et Marisa Merz sont exposés ensemble. Certes, la galerie souligne leurs dialogues, mais une salle unique consacrée à Marisa Merz (la seule femme de ce groupe) aurait affirmé toute la force indépendante de son œuvre (comme l’a montré la récente exposition Marisa Merz au LaM, à Villeneuve d’Ascq).
Parmi les derniers vivants, Pier Paolo Calzolari rejoue l’espace blanc de sa casa ideale (1968) et Giulio Paolini la mise en abîme de l’espace du tableau, chère à ses préoccupations. Ces deux salles ont été pensées très justement comme des installations là où les artistes italiens actifs dans les années 1960 ont été des précurseurs dans ce domaine comme l’ont démontré des expositions historiques d’importance (« Lo spazio dell’immagine », 1967; « Teatro delle mostre », 1968).
La salle consacrée à Pino Pascali (mort le premier à l’âge de 33 ans en 1968) traversée par son œuvre d’eau colorée Confluenze (1967) souligne son attachement à la diversité des matériaux et à la pensée minimale de ses sculptures installatives. Mais il est regrettable que le trop d’œuvres des salles d’Alighiero Boetti et de Giovanni Anselmo ne permette pas d’appréhender la puissance de leur travail dans cette dense traversée de l’Arte Povera.
-
« Arte Povera », du 9 octobre 2024 au 20 janvier 2025, Bourse de Commerce-Pinault Collection, 2 rue de Viarmes, 75001 Paris.