Vous présentez au Palais d’Iéna « Divisione - Moltiplicazione, 1973-2023 ». Comment avez-vous conçu cette exposition ?
J’ai conçu cette exposition en regardant tout d’abord l’espace du Palais d'Iéna, une architecture à la fois récente et ancienne. J’ai revu un peu le parcours de ma recherche pour arriver à la formule de la création à travers le miroir. Je présente une œuvre qui montre comment je suis arrivé à comprendre le fonctionnement de l’univers depuis ses origines ! Il s’agit de deux miroirs totalement fermés, l’un contre l’autre. Il n’y a aucun espace physique entre les deux, et donc aucun reflet, ni de l’existence, ni du miroir lui-même. C’est, pourrait-on dire, le moment zéro. Dès lors, j’entre-ouvre légèrement cet espace, ce qui fait apparaître toutes les déclinaisons de miroirs possibles, jusqu’à l’ouverture totale. C’est un travail sur les possibilités de réflexion, une métaphore de ce qui se passe exactement dans l’univers à partir du Big Bang. L’univers est devenu de plus en plus étendu, nous sommes aujourd’hui à un certain point de cette ouverture. Pour donner corps à cette idée de la création perpétuelle, j’ai réalisé un symbole de trois cercles. Cette dynamique de trois, cette « trinamique », telle que je l’appelle, décrit ce processus. C’est un signe de la création qui se démultiplie. Cette idée remonte à 1973, mais la pièce a été refaite spécifiquement pour le Palais d’Iéna.
Comment avez-vous composé avec l’architecture monumentale en béton d’Auguste Perret ?
Les colonnes produisent un rythme. J’y ai introduit les différents moments de l’ouverture de deux miroirs, de zéro jusqu’à l’ouverture totale. Elles sont comme des murs qui soutiennent les miroirs. C’est une architecture de murs qui se coupent et qui s’ouvrent au sein de la grande architecture.
L’exposition présente conjointement « Allegro, ma non troppo » de Daniel Buren. Vous n’avez pas travaillé de concert. Néanmoins, comment avez-vous pensé ce dialogue artistique ?
J’ai vu des œuvres de Daniel aux Moulins, l’espace de la Galleria Continua près de Paris. Il avait installé des lignes de couleurs sur les fenêtres. L’effet était formidable. Lorsque j’ai su qu’il voulait créer ce type de pièce au Palais d’Iéna, j’ai pensé que ce serait magnifique. Il travaille la lumière et l’espace, avec un jeu dynamique des couleurs entre intérieur et extérieur. Il travaille la transparence ; de mon côté, je travaille avec la réflexion.
Vous appartenez peu ou prou à la même génération. Quel regard portez-vous sur son œuvre ?
Je la connais bien. J’exposais déjà lorsqu’il a commencé à travailler. J’ai tout de suite trouvé son travail très intéressant. Il touchait avec une simplicité incroyable à une vision totalement inclusive de la technique, et dans le même temps très populaire. C’est ce qui m’intéressait, cette ouverture vers la société.
À 90 ans, la Galleria Continua vous consacre une série d’expositions rétrospectives. Quel regard portez-vous sur l’évolution de votre œuvre ?
Sans les tableaux miroirs de mes débuts, l’œuvre présentée au Palais d’Iéna n’existerait pas. C’est le concept même de l’image, de la transformation de l’image peinte sur le tableau à l’image reproduite directement par le miroir, surface qui n’a pas d’image prédéterminée ; c’est l’image au niveau zéro. Ce manque total d’image lui permet de représenter toutes les images possibles. Ce que nous voyons dans l’œuvre est l’espace-temps. C’est quelque chose qui n’avait jamais été directement réalisé dans une œuvre d’art ! Dans le tableau ou la sculpture, il y a deux ou trois dimensions. Mais là, c’est la quatrième dimension. Mon œuvre est devenue phénoménologique. Il ne s’agit plus seulement de la transposition sur la toile de ma pensée, mais d’une pensée de l’univers que j’attrape à travers la réflexion de tout ce qui existe. Aller toujours plus loin à l’intérieur du miroir, c’est parvenir à l’origine de l’univers. Mon œuvre est métaphysique : d’un côté « méta », au-delà, dans le miroir ; et la réalité « physique », ce qui se trouve devant le miroir.
Michelangelo Pistoletto, « Divisione - Moltiplicazione, 1973-2023 » ; Daniel Buren, « Allegro, ma non troppo, travail in situ, 2023 », du 17 au 29 octobre 2023 dans le cadre du programme public de Paris + par Art Basel, avec le soutien de Galleria Continua, Palais d’Iéna – CESE, 9 av. d’Iéna, 75016 Paris. Commissaire : Matthieu Poirier.