La tactique est adroite et l’intention louable. Une abjecte insulte est retournée en fier étendard, et les communautés opprimées ou délaissées obtiennent la place qu’elles méritent. Le titre programmatique de la Biennale de Venise 2024, « Foreigners Everywhere» (Étrangers partout), revendique l’ubiquité de l’altérité, qui s’incarne à travers le nombre extraordinaire de 331 artistes, issus de 80 pays différents.
L’ensemble regorge de découvertes, c’est indéniable. Mais trop souvent, chacun, chacune n’est représenté·e qu’à la faveur d’une poignée d’œuvres, voire d’une seule. Au fil d’une visite-fleuve, on se met à douter de l’efficacité critique du principe de sélection avancé – des productions tirées du « Sud global » jusque-là jamais montrées en ces lieux – et à craindre que la noble ambition de cette présentation radicale s’effondre sur elle-même sous le poids de l’effet de masse aux airs parfois bien complaisants.
« SOUTENIR LA RÉCONCILIATION »
Paradoxalement, et à rebours de la plupart des éditions passées, c’est la section des pavillons nationaux qui semble déployer parmi les réflexions les plus pertinentes autour de la thématique (fort) générale adoptée dans la section Internationale. Citons, pour les plus marquantes, les expositions de Kapwani Kiwanga pour le Canada, de Wael Shawky pour l’Égypte, d’Anna Jermolaewa pour l’Autriche, d’un groupe de huit artistes – dont Ndidi Dike, Precious Okoyomon et Yinka Shonibare – pour le Nigeria (l’exposition est située hors des Giardini, dans le Dorsoduro) et du collectif CATPC (Cercle d’art des travailleurs de plantation congolaise) en collaboration avec l’artiste Renzo Martens et le commissaire d’exposition Hicham Khalidi pour les Pays-Bas.
Intitulée « The International Celebration of Blasphemy and The Sacred », la contribution néerlandaise constitue, à mon sens, l’une des propositions les plus étonnantes et les plus puissantes de la Biennale. Elle se fonde sur des épisodes précis de l’histoire coloniale propre à l’actuelle République démocratique du Congo, la Belgique et les Pays-Bas, puis l’Angleterre et les États-Unis, à travers d’une part Unilever, issue de la compagnie Lever Brothers, et d’autre part le Virginia Museum of Fine Arts, à Richmond, qui a accordé le prêt temporaire – à défaut d’une restitution permanente – d’une sculpture sacrée ancestrale. L’installation de sculptures et vidéos concerne toutes et tous qui passent son seuil. Car, comme il est inscrit dès l’entrée du pavillon Rietveld, « selon le CATPC, il convient de noter que de nombreux musées occidentaux ont été construits et financés avec des bénéfices tirés des plantations. Il pense que le moment est venu pour les musées et les instituts d’art du monde occidental de soutenir la réconciliation et de s’engager activement avec les communautés autochtones alors qu’elles réclament leurs terres et restaurent leurs forêts sacrées.»
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60e Exposition internationale d’art – La Biennale di Venezia, 20 avril-24 novembre 2024, divers lieux à Venise, Italie.
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« The International Celebration of Blasphemy and The Sacred », 20 avril-24 novembre 2024, Pavillon néerlandais, Giardini, Venise, Italie.