Le phénomène se confirme au fil du temps. Dans un contexte de concentration de l’industrie du livre et de la presse, ainsi que d’une numérisation croissante du texte et de l’image, l’édition indépendante d’objets imprimés résiste. À l’instar du livre d’artiste, le format mouvant de la revue prospère, même si celui-ci repose souvent sur une économie fragile. Entre fonds propres, rares subventions publiques, annonceurs privés et budgets participatifs, le financement des revues indépendantes demeure précaire. Cette fragilité est pourtant aussi une force face aux pressions commerciales et à la standardisation des contenus : les revues artistiques indépendantes offrent un refuge pour des lignes éditoriales sans concession et des conceptions graphiques audacieuses. Quel que soit leur tirage – de quelques centaines à plusieurs milliers d’exemplaires –, les revues, tout juste créées ou plus anciennes déjà, sont des espaces d’expérimentation occupant des terrains inexplorés ou délaissés.
ART, CINÉMA ET LITTÉRATURE
Depuis 2009, May se consacre avec rigueur aux formes actuelles de la critique, rassemblant essais, entretiens et comptes rendus d’expositions. Paris LA quant à elle propose depuis 2008 une approche pluridisciplinaire de deux villes en faisant cohabiter arts visuels, architecture, mode, design et musique. Dans le domaine littéraire, citons Habitante : « De la fiction à la théorie critique, de l’arbre au territoire, de la maison à la mégastructure, Habitante raconte les espaces où l’on vit et la manière dont on les pense »; et la nouvelle venue Sève : « Sève est un lieu à faire pousser, une nationalité sans territoire pour qui souhaite (s’)offrir des contre-récits ». À propos de cinéma, notons la revue féministe et queer Another Gaze et Les Saisons, dédiée aux écrits de cinéastes, dans laquelle les textes, délicatement mis en page, se passent d’images.
Richement illustrée au contraire, la revue annuelle Tools de Clémentine Berry étudie à travers essais, entretiens et portfolios les techniques et les savoir-faire utilisés dans les arts, l’artisanat et l’industrie. Après le moulage en 2021, le tissage cette année, viendra le pliage en 2023. À la croisée des disciplines, cette passionnante publication entend rendre accessibles des portraits informés et incarnés à la fois d’objets, d’outils, d’individus, de gestes. Enfin, Arcades, lancée par la photographe Wendy Huynh, déploie une vaste enquête consacrée à la vie et à la culture dans les banlieues – à commencer par celles de Paris, Londres et Berlin. Désormais associée à la directrice artistique Jessica Pichet, la revue entame un nouveau chapitre dédié exclusivement aux Choux de Créteil, le grand ensemble conçu par Gérard Grandval (1930-2021). Ces immeubles labellisés « Patrimoine du XXe siècle » et la vie de leurs habitants, le véritable cœur du propos, font l’objet de présentations, d’ateliers et de rencontres avant de nourrir l’année prochaine, si tout va bien, une
monographie inédite.