Le 25 juin 2022 s’éteignait Sam Gilliam (1933-2022). Pionnier de la peinture abstraite d’après-guerre, Sam Gilliam a sans doute plus qu’aucun·e autre artiste de sa génération contribué à l’extension spatiale du champ pictural. Grand expérimentateur des couleurs, mais aussi libérateur des supports, Sam Gilliam rassemble dès la fin des années 1960 un corpus puissant et lyrique : ses Drape Paintings, immenses toiles sans châssis suspendues au mur ou au plafond, forment courbes et plis irréguliers qui, d’une installation à l’autre, ne semblent ni tout à fait les mêmes ni tout à fait autres. Figure centrale de la Washington Color School aux côtés de Morris Louis et Kenneth Noland, l’artiste africain-américain demeure relativement discret sur la scène internationale malgré son inclusion, en 1972, dans le pavillon des États-Unis à la Biennale de Venise. C’est seulement depuis le courant des années 2010 que son travail bénéficie d’une plus grande attention, rayonne au-delà des frontières (avec notamment l’exposition monographique «The Music of Color. Sam Gilliam, 1967-1973 » au Kunstmuseum de Bâle en 2018) et influence nombre d’artistes majeurs dont David Hammons et Rashid Johnson.
LE DÉFI EXPANDED EXPANSION
La pratique du drapé en free fall ou chute libre, situant l’œuvre de Sam Gilliam à la croisée de la peinture et de la sculpture, résonne avec les défis lancés à la gravité de bien des œuvres d’Eva Hesse (1936-1970), dont la réalisation monumentale Expanded Expansion (1969). L’ensemble, constitué de grands pans de tissus en latex caoutchouté et de poteaux en fibre de verre et en résine, se déploie différemment à chaque présentation, l’artiste confiant à celle ou celui qui le montre la décision de son extension dans l’espace. Après trente-quatre ans d’absence (incidemment l’âge auquel est décédée l’artiste), l’installation hybride refait surface à l’issue d’une vaste campagne de restauration.
Exposée dès sa réalisation, puis plusieurs fois depuis son entrée dans les collections du Guggenheim Museum, à New York, en 1975, Expanded Expansion aura connu somme toute une vie publique relativement courte, la fragilité extrême de ses matériaux et leur détérioration rapide (teintes et textures se sont modifiées radicalement en moins de vingt ans) imposant depuis 1988 de ne plus lui faire quitter les réserves du musée. Un nouveau défi était à relever par l’institution dont la responsabilité se trouvait confrontée aux dilemmes bien connus – et non moins ardus – entre préservation et monstration, momification et réplication. La décision de cette réapparition fera en tout cas date dans les annales de la conservation contemporaine.
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« Eva Hesse : Expanded Expansion », 8 juillet-16 octobre 2022, Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, New York 10128, États-Unis.