Comment est née l’AFRICANA Art Foundation ?
D’une rencontre. Celle que j’ai faite au Swiss Institute de New York avec l’architecte Alexandre Costa Lopes, qui est en outre un grand collectionneur d’art contemporain angolais – il est né et vit une partie de l’année en Angola. Lors de ma formation en Museum Studies à Harvard, je voulais créer une institution sans but lucratif qui aurait l’ambition de combattre le racisme à travers la promotion d’œuvres d’artistes africains et issus de la diaspora africaine. Il y a trois ans, j’ai proposé à Alexandre de créer cette Fondation avec moi. Après avoir soutenu la création dans son pays pendant presque quinze ans, il nourrissait lui aussi l’envie de s’impliquer dans un projet plus ambitieux, qui aille au-delà du simple principe d’acquérir les travaux de ces artistes.
Notre objectif est de témoigner des grandes diversités culturelles qui traversent le continent, la plupart des gens ayant tendance à mettre toute l’Afrique dans le même panier.
Vous soutenez les artistes africains, mais également ceux qui vivent à l’étranger, voire qui sont d’origine africaine. Pourquoi ce choix ?
Je suis franco-brésilienne, née dans le nord du Brésil, au sein d’une famille aux origines très mixtes, comme c’est souvent le cas dans mon pays. Mon héritage comprend des ascendances africaine, italienne, espagnole et même indigène. Ce mélange m’a toujours fascinée, en particulier l’influence de l’Afrique dans la culture brésilienne. Je l’ai étudiée à l’université au Brésil, puis j’ai continué lorsque je suis partie vivre en France. En déménageant aux États-Unis, j’ai eu un choc. Ayant grandi entourée de descendants africains dans un pays où, certes, le racisme et les problèmes de la postcolonisation existent, il ne faut pas le nier, je me suis soudain trouvée confrontée à une situation dramatique, face à une ségrégation encore active, voire érigée en système partout dans la société. C’est devenu une mission pour moi d’utiliser la puissance de l’art pour tenter de créer des liens, de mettre en avant les artistes afro-américains, mais aussi de les mettre en contact avec les artistes africains, avec lesquels ils partagent un héritage sans se connaître les uns les autres. D’où l’idée d’ouvrir des résidences à New York, Lisbonne, Genève et un bureau à Luanda, en Angola, afin que les artistes que l’on invite puissent échanger et développer leur activité hors d’Afrique.
L’Afrique est, depuis quelques années, le nouveau pôle d’intérêt du milieu de l’art et de son marché. Comment expliquez-vous cet engouement ?
Les mouvements du type Black Lives Matter ont éveillé les consciences. Le problème de la représentation des artistes noirs, ainsi que des artistes femmes, existe depuis longtemps, mais il ne peut dorénavant plus être éludé. Nous sommes confrontés à des faits et à des chiffres. Toutes les institutions tentent de se rattraper en montrant les artistes que le racisme avait jusqu’alors écartés, en achetant davantage d’œuvres d’artistes africains, afro-américains ou de la diaspora africaine et d’artistes femmes, au moins pendant une certaine période. Ce qui, pour nous, rend parfois difficile d’acquérir des pièces de créateurs qui nous intéressent, car tout le monde les veut. Notre collection compte 1 400 œuvres, principalement d’artistes angolais qu’Alexandre collectionne et d’Afrique subsaharienne. Notre objectif n’est pas de nous limiter à ces régions, mais de témoigner des grandes diversités culturelles qui traversent le continent, la plupart des gens ayant tendance à mettre toute l’Afrique dans le même panier.
Comment trouvez-vous les artistes que vous soutenez ?
À travers notre bureau de Luanda et les visites d’ateliers que nous réalisons sur place, malheureusement moins en ce moment en raison du Covid-19 – ce qui ne nous empêche pas de continuer à soutenir nos artistes pendant cette période où ils en ont le plus besoin. Ana Silva, qui est représentée dans la collection d’AFRICANA, participera à la Biennale de Dakar, reportée à 2021. Une sélection des œuvres de la Fondation sera également exposée à la prochaine Biennale de São Paulo.
Vous deviez inaugurer votre première résidence à New York en septembre; la crise sanitaire vous a contraint à reporter cette ouverture à l’automne 2021. Peu avant, en janvier 2020, vous aviez officiellement lancé l’AFRICANA Art Foundation à Genève. Pourquoi avoir choisi de vous installer en Suisse ?
Nous avons longtemps cherché l’endroit idéal : en France, en Angleterre et en Allemagne, où habite une partie de ma famille. Genève s’est finalement imposé. D’abord, c’est la ville dans laquelle Alexandre vit la plupart du temps. Ensuite, le modèle suisse, en termes de fonctionnement des fondations privées à but non lucratif et de soutien à la culture provenant du gouvernement, est très proche de celui en vigueur aux États-Unis. Enfin, la Suisse a une réputation de neutralité et d’honnêteté, des valeurs qu’AFRICANA porte également. La clarté et la transparence sont très importantes pour nous, elles sont un gage de confiance.
À Genève, vous projetez d’ouvrir en novembre la première exposition de l’AFRICANA Art Foundation. Dans le contexte actuel difficile, comment allez-vous procéder ?
En attendant que les choses aillent mieux et que nous trouvions un espace d’exposition définitif, nous consacrons une partie de notre bureau situé dans le quartier des Pâquis à des accrochages temporaires, ouverts sur rendez-vous. Nous avons également mis sur pied un programme intitulé « Expositions temporaires », qui présente des œuvres de notre collection au sein des entreprises. Il s’appuie sur une étude de la Harvard Graduate School of Education au sujet de l’impact positif d’expositions d’art dans de tels lieux : elles favorisent les interactions sociales et émotionnelles, améliorent l’ambiance de travail et aident à l’apprentissage de manière générale. Nous venons ainsi de montrer des photographies d’Edson Chagas dans une banque genevoise. Ces présentations sont accompagnées de tours guidés destinés aux employés et de cycles de conférences.
Vos premiers résidents arriveront en 2021. Comment se déroulera leur résidence ?
Les résidents travailleront ici pendant trois mois. La Fondation prendra en charge leur transport, leur loyer et tout le matériel nécessaire à leur pratique. Elle leur allouera également une somme mensuelle leur permettant de subvenir à leurs besoins pendant leur séjour. Notre objectif n’est pas d’inviter quelqu’un à produire des œuvres loin de chez lui, puis de le laisser repartir au bout d’un trimestre. Nous sommes en contact avec les écoles, les institutions et les galeries de la région afin que nos résidents et résidentes puissent s’insérer dans le tissu artistique suisse romand. Si untel ou untel veut participer à des cours en auditeur libre, perfectionner ou apprendre une technique artistique, nous devons aussi pouvoir répondre à ces souhaits.