Le mercredi 6 mai 2020, soit plus de sept semaines après le début du confinement décrété pour limiter la propagation du Covid-19, le président de la République a dévoilé la présentation d’un plan d’urgence pour la culture – mesures très attendues par les différents secteurs culturels. En effet, cette crise sanitaire sans précédent et ses conséquences ont complètement mis à l’arrêt un secteur représentant près de 2,2 % du PIB.
Rappelons en préambule que le réseau TRAM, fondé en 1981, réunit à ce jour 31 structures singulières, chacune engagée dans le soutien aux artistes-auteur·trice·s, à la production, aux expositions, aux éditions et à la formation à l’art contemporain sur le territoire de la région Île-de-France. Musées, centres d’art, écoles d’art, collectifs d’artistes, fondations, FRAC, etc. Ces structures incarnent toute la richesse de la création contemporaine francilienne et accompagnent avec énergie et engagement la création artistique tout comme la transmission de ses formes et questionnements auprès de publics pluriels. C’est donc avec grand intérêt que nous avons pris connaissance des propositions faites par le président de la République et sur lesquelles nous voulons revenir.
Comme le président de la République l’a souvent répété, la culture, sous toutes ses formes, fait partie intégrante de l’ADN de la France.
LA CULTURE, SOUS TOUTES SES FORMES, FAIT PARTIE INTÉGRANTE DE L’ADN DE LA FRANCE
Si la sécurité durable apportée aux intermittent·e·s œuvrant dans les secteurs du spectacle vivant et de l’industrie cinématographique est essentielle, et nous la saluons ici, cette mesure n’est pas assez forte, pas assez large. Elle n’est pas à l’échelle de l’ampleur de la crise et ne correspond pas à la diversité du champ culturel. Nous avons dit la fragilité et l’extrême précarité des artistes, des auteur·trice·s, des indépendant·e·s ; nous la répétons ici.
Qu’en est-il donc des nombreux·professionnel·le·s du secteur qui ne bénéficient pas du statut d’intermittent ? La confusion est fréquente; levons-la : les artistes-auteur·trice·s, commissaires d’exposition, critiques et théoricien·ne·s de l’art, médiateur·trice·s, restaurateur·trice·s, monteur·teuse·s d’exposition, graphistes etc. ne bénéficient pas de ce statut et nombreux·ses sont celles et ceux dont les revenus dépendent intrinsèquement de l’activité de tout un réseau, complètement paralysé depuis près de deux mois, et qui se retrouvent aujourd’hui sans la moindre source de revenu. Quelle mesure permettra leur survie ? Parce qu’il est bel et bien question de survie. Ne les oublions pas. Il en va de notre responsabilité citoyenne et de l’identité culturelle de la France.
Les mesures générales font l’impasse de tou·te·s celles et ceux qui, les plus fragiles, ne font pas partie de l’industrie culturelle ni ne sont porté·e·s par le « marché de l’art », qui n’est pas celui de la « création ». L’« économie de la création » est celle de la production des œuvres et de la transmission de l’information et du savoir dans l’art au plus grand nombre, soit : les projets EAC [Éducation artistique et culturelle], les résidences, les expositions dans le secteur public ou associatif, la production dans l’espace public, l’enseignement ponctuel, les conférences, les festivals, la sous-traitance en édition, le développement informatique ou la scénographie, etc. Soit un ensemble de « rémunérations » déjà faible et aléatoire en temps normal et aujourd’hui totalement impacté par la crise pour de nombreux mois. Par conséquent, il faut absolument prévoir des mesures spécifiques pour ces acteur·trice·s essentiel·le·s pour l’innovation et le développement culturels en France, qui échappent aux radars du pouvoir.
NOMBREUX·SES SONT CELLES ET CEUX DONT LES REVENUS DÉPENDENT DE L’ACTIVITÉ DE TOUT UN RÉSEAU, COMPLÈTEMENT PARALYSÉ DEPUIS PRÈS DE DEUX MOIS
L’un des grands axes du discours du président de la République propose de dynamiser les projets d’Éducation artistique et culturelle (EAC). Pour rappel, les structures membres du réseau TRAM se sont emparées de ce dispositif dès sa création en 2005 et font référence dans ces actions essentielles : elles permettent aux individus de s’émanciper tout au long de leur vie et à la société de grandir. Et ici encore, levons une confusion et rappelons que même si ces projets ont un impact pédagogique fort et sont conçus comme tels, ils sont des projets de création, conçus par des artistes-auteur·trice·s, avec des professionnel·le·s de l’Éducation nationale et des collectivités territoriales. Pour être réussis, ils articulent souvent plusieurs structures à but non lucratif et développent trois phases : la recherche et la création, la production et les partenariats et seulement en troisième phase la diffusion. Les services de l’État, qui nous accompagnent avec énergie depuis toutes ces années, le savent bien : ces projets ne s’improvisent pas et forment le socle de bien des aides aux artistes. De plus, les centres d’art sont constitués de petites équipes et de budgets restreints : quels seront les moyens mis en œuvre pour leur permettre de mener à bien ces nouvelles missions, dans des conditions strictes de distanciation sociale et de respect contraignant des règles de sécurité sanitaire ? Ajoutons à cela notre étonnement face à la demande d’aller chercher de nouveaux publics, nous qui pensons chaque année des projets spécifiques à destination de chacun·e, main dans la main avec les autres acteur·trice·s de nos territoires. Nous, acteurs et actrices du secteur des arts visuels, avons conscience qu’il faudra « inventer une saison hors norme » et « inventer de nouveaux rapports [avec les publics] ». Ces réflexions collectives sont à l’œuvre depuis plusieurs semaines déjà, nous nous y préparons. Mais pour cela il faut des moyens. Nous attendons dans les jours qui viennent une visibilité, un cap et des moyens forts pour pouvoir répondre le plus sereinement possible aux conséquences terribles de cette crise et de l’incertitude qui l’accompagne, en préservant la santé des publics que nous accueillons dans nos lieux et celle de nos équipes.
NOUS ATTENDONS DANS LES JOURS QUI VIENNENT UNE VISIBILITÉ, UN CAP ET DES MOYENS FORTS
Enfin, nous recevons favorablement l’annonce d’un « grand programme de commandes publiques » pour toutes les disciplines : le soutien à des formes éphémères dans l’espace public, visibles par des passant·e·s ou des citoyen·ne·s à leur fenêtre, dans le respect des règles sanitaires, nous paraît être une excellente idée dans le contexte inédit que nous traversons ! Nous émettons toutefois une réserve face à la cible concernée : pourquoi restreindre ce vaste programme aux seuls « jeunes créateurs de moins de 30 ans » ? Faut-il le préciser, l’âge d’un·e auteur·trice ne définit pas la qualité de son œuvre. De surcroît, des artistes de plus de 30 ans sont dans une situation tout aussi préoccupante que leurs cadet·te·s. Là encore, élargissons davantage. Nous attendons impatiemment les contours de ce programme et l’enveloppe qui lui sera allouée.
Plus largement, nous attendons que soit attribuée à la culture la place centrale qui doit lui être réservée au sein de notre société, et à l’acte de création le temps indispensable de la recherche, de la réflexion et de l’expérimentation. Nous sommes las de constater que les arts visuels contemporains ne sont pas reconnus à la mesure des initiatives essentielles menées quotidiennement sur le terrain, auprès des publics, avec civisme, passion et engagement par ses acteur·trice·s. Espérons que les moyens soient donnés au ministre de la Culture et à son administration pour mener ces chantiers à bien.
Le chemin est long et les inquiétudes nombreuses sur les années à venir. Pour faire face aux répercussions futures, les membres du réseau TRAM espèrent pouvoir maintenir un dialogue et une collaboration fertiles et garants de l’équilibre du secteur afin de « réinventer » ensemble la culture.