Vous souvenez-vous de vos premiers achats ?
J'ai toujours eu des coups de cœur, comme pour des gouaches de Victor Brauner. Mon premier achat sérieux a été Gérard Garouste. Je sortais beaucoup au Palace, où il avait décoré le Privilège au sous-sol. Il avait illustré la Divine comédie de Dante et exposait chez Durand-Dessert; c'est avec lui que j'ai commencé à avoir des sensations et à collectionner ! Puis, j'ai affiné mon œil et ma réflexion, vers des artistes plus minimalistes, plus abstraits, tels que Pierre Soulages en 2007, quand il était taxé d’être trop « français ». J'ai adoré sa radicalité ! Ou, entre autres, Daniel Buren dont j'ai une œuvre réalisée l'année de ma naissance. Soit on prend ce que l’on veut d’un artiste, soit on essaie d’acheter des œuvres vraiment importantes, pas juste des marques. L'œuvre et l’artiste sont aussi importants l’un que l’autre. Dans la mesure du possible, j'essaie donc de trouver des pièces de premier plan. Avec le temps, il faut collectionner des artistes plus jeunes, car ensuite, les aînés célèbres disparaissent et deviennent inaccessibles. De toute façon, l'art n'est pas une passion raisonnable. On ne sait jamais ce que vont devenir les artistes que l'on achète.
Quel a été votre dernier achat ?
J'ai eu un gros coup de cœur pour une sculpture en liège et corten de l'Américano-pakistanaise Huma Bhabha, exposée au Palais de Tokyo et présentée aujourd’hui dans l'exposition du Palazzo Grassi à Venise [«Julie Mehretu. Ensemble»]. Je la recevrai en janvier, quand l'exposition sera terminée. Dans les abstraits, je viens d'acheter une petite flamme de Wade Guyton. Un bijou ! Ce n'est pas forcément la taille qui compte, il faut savoir varier les formats.
Quelles sont vos galeries de prédilections ?
Il faut acheter les bons artistes, qu'ils soient représentés à Paris ou aller à l’étranger. J'habitais rue Mazarine, d'où le nom de ma société, et Kamel Mennour avait sa galerie dans la même rue, ce qui nous a valu de solides liens. L'humain reste fondamental. J'achète aussi chez Perrotin, que j'apprécie également beaucoup pour la dynamique qu'il a réussi à créer. Je suis également proche de Hauser & Wirth, chez qui j'ai acquis beaucoup d'artistes afro-américains comme Rashid Johnson ou Lorna Simpson, au point de bâtir une collection importante. Et puis aussi David Zwirner...
Pourquoi ces artistes ?
J'ai vécu quinze ans en Afrique, c'était naturel pour moi de collectionner de l'art africain et afro-américain. Mais depuis 2014, pas depuis quatre ans ! J'ai commencé à acheter Rashid Johnson quand il était inconnu; j'ai acquis presque toutes ses séries ainsi qu'une sculpture qui a été présentée au Musée Guggenheim de New York; Glenn Ligon, que j'adore; Theaster Gates aussi dont j'ai mis une œuvre dans l'escalier ici [ses bureaux]; Lorna Simpson... Du côté des artistes africains, j'ai eu la chance d’obtenir un tableau d'Amoako Boafo. Pour l'art figuratif africain, il faut être très exigeant, car d'un tableau à l'autre, il y a de vraies différences de qualité.
Qu'en est-il des artistes français ?
J'ai créé le fonds de dotation Reiffers Art Initiatives, non pour montrer mes tableaux mais pour me servir de l'accès aux artistes importants, que j'avais en les collectionnant, pour soutenir de jeunes artistes français. Tant qu'à faire, je me suis dit que je devais collectionner les créateurs qui ont une âme, un engagement réel... Ils s'engagent bénévolement dans le programme de mentorat et créent des expositions ensemble. Rashid Johnson a ainsi accepté d'être le mentor de Kenny Dunkan: Kehinde Wiley celui d'Alexandre Diop; Lorna Simpson, celle de Gaëlle Choisne [lauréate cette semaine du Prix Marcel Duchamp 2024, ndlr]. Cet automne, c'est au tour d'Ugo Rondinone de travailler avec Tarek Lakhrissi... Ugo Rondinone a transformé les lieux et créé un environnement coloré immersif où se déploient les œuvres de Tarek. Nous achetons des pièces de ces jeunes talents, au titre du fonds ou de ma collection. Les artistes ont besoin de soutien pour pouvoir grandir.
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« Ugo Rondinone et Tarek Lakhrissi. Who is afraid of red blue and yellow ? »,
jusqu'au 16 novembre 2024, Reiffers Art Initiatives, Reiffers Art Center, 30, rue des Acacias, 75017 Paris.