Comment est née l’idée de cette pièce ?
Il y a douze ans, j’ai imaginé un instrument du nom de métallophone, constitué de 216 lames, joué par six musiciens de ma compagnie Les insectes, dédiée à cet instrument. Il a été en partie conçu lorsque j’étais pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. J’ai créé des compositions spécifiquement pour cet instrument.
En découvrant le jeu pluri-instrumentiste, je me suis dit qu’il serait intéressant de faire une proposition à plus grande échelle à la Biennale de Lyon, avec pour projet d’activer l’œuvre en faisant participer le public. J’ai développé cette structure instrumentale, que j’appelle « la rivière de bouteilles » – une sorte de vaste clavier, où chacune des mille bouteilles remplies d’eau est accordée précisément pour permettre de jouer une composition écrite à l’avance. C’est un peu la grande sœur du métallophone, il y a une filiation.
Accorder ces bouteilles a nécessité plus de 1 600 heures de travail, réparties sur une quinzaine de personnes en tout. C’est un travail colossal, afin que chaque bouteille corresponde à une note, avec d’infinies nuances. C’est plus complexe qu’accorder un piano Steinway ! Je cherchais à faire entendre des sensations.
Chacun des intervenants du public, entre vingt et quarante, met en vibration les instruments en suivant une règle du jeu disposée sur chacun des pupitres. On joue avec une baguette sur les bouteilles, on vient lire une mélodie en se déplaçant. C’est comme un chant des sirènes. On entend des glissades. Tout est pensé comme un organisme vivant. Chacun est affilié à un son – il peut s’agir aussi de simples galets mués en instruments de musique. L’idée est de créer un dialogue. Il ne m’était pas possible d’écrire pour cette création une partition aussi précise que ce que je fais habituellement, raison pour laquelle j’ai inscrit la musique dans les instruments, en l’occurrence les bouteilles.
Cette pièce musicale est aussi une œuvre plasticienne produite pour une biennale d’arts visuels.
Le son provient du mouvement. Tout mouvement provoque un son. Il existe une dimension inévitablement physique, inhérente au fait d’inventer des sons et des instruments. La forme de l’oreille correspond parfaitement à son usage, comme les ailes d’une libellule. Un instrument réussi doit avoir une forme correspondant au plus près à son usage. La forme d’un violon découle des sons que l’on cherche à produire.
Avec cette installation, les postulats de départ étaient la marche, l’idée de recycler des objets du quotidien, valoriser l’eau – mettre de l’eau dans son vin, pourrait-on dire. Il me semblait aussi intéressant de chercher comment faire société au XXIe siècle, engendrer le mouvement. Le courant de cette rivière de bouteilles est donné par les gens qui se déplacent ensemble, partagent cette expérience.
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Ma référence première est la nature. L’eau, le verre… La pièce s’appelle Sensitive, ce qui signifie être à l’écoute du monde. Il s’agit de quitter le monde chromatique et tempéré pour entrer dans un univers sensible. Ici, la problématique était de pouvoir faire jouer plusieurs personnes simultanément. La pièce résulte des problématiques posées et des réponses apportées de la manière la plus cohérente. Chaque chose est pensée. L’inspiration est là, et dans la matière. À l’origine, il y a un idéal : comment faire jouer quarante personnes en mouvement. Je suis en train de constituer mon orchestre d’instruments insolites, c’est une étape.
17e Biennale de Lyon, « Les voix des fleuves Crossing the water », du 21 septembre 2024 au 5 janvier 2025, divers lieux, Lyon.