C’est à Hyères, au cœur de son centre-ville bordé de palmiers, qu’a été inauguré en 2021 La Banque, musée des cultures et du paysage dans l’ancienne et majestueuse annexe de la Banque de France datant du début du XXe siècle. Au sein de ce remarquable espace de style néoclassique et Art déco resté fermé pendant plus de 20 années, la pleine maturité de Joan Miró se révèle au grand jour, avec une exposition réunissant 74 peintures, sculptures, dessins et estampes du maître majorquin, soit un ensemble rare provenant de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence.
Embrassant une production réalisée de 1956 à 1977, cette période « marque l’apogée du génie créatif de Miró et donne naissance à des œuvres d’une puissance expressive inégalée, le consacrant comme un maître incontesté de l’art moderne », nous précise Franck Mei, le directeur du musée. De fait, l’œil est happé dès le grand hall central par la profusion colorée des œuvres exposées où dominent les grandes peintures et les sculptures opulentes de l’artiste espagnol : toutes habitées par le thème tutélaire de la femme et l’oiseau, les taches de couleur fusent, cernées ou traversées de vigoureux tracés noirs quand elles ne sont pas peuplées de signes solaires, d’étoiles et de courbes vigoureuses.
En traduisant les signes actifs et toujours opératoires de son univers personnel, Miró semble alors donner libre cours à tout l’accomplissement de sa recherche poétique, profondément nourrie de forces telluriques et cosmiques. En 1954, l’artiste s’installe en effet à Majorque, sa terre natale, et y fait construire un grand atelier par son ami Josep Lluis Sert (1902-1983), lequel a également conçu les plans de la Fondations Maeght et de ses jardins inaugurés en 1964. Dans le « grand atelier de Palma », propice aux réalisations d’imposants formats, un nouveau souffle s’instaure puis se fertilise dans une période de transformation artistique et de voyages qui perdurera jusqu’à la fin de sa vie. Les modulations, quasi mélodiques, opérées par le geste précis et libéré de la main y gagnent alors toute leur importance, nourries tant par la calligraphie japonaise que par l’expressionnisme abstrait américain. Miró ponctue ainsi ses dessins, où plusieurs techniques sont mises en œuvre sur une même feuille, de signes purs et minimaux – lignes, points, balafres – vécus comme autant d’exercices spirituels et mentaux contrôlés avec précision. Sa création ininterrompue s’exprime également dans d’autres domaines, qu’il s’agisse de la céramique, débutée avec son compatriote Josep Llorens Artigas (1892-1980)dès 1944 ou bien d’assemblages réalisés à partir de différents objets. L’exposition suit ainsi un parcours thématique où s’énonce l’influence des différents mouvements traversés par l’artiste, à l’instar du surréalisme pleinement visible dans l’Album 19 (1961) qui, en réunissant 19 lithographies originales, témoigne de l’amitié profonde nouée entre Miró et Raymond Queneau dès les années 1920.
D’autres affinités se font jour, comme celle qui lie Miró et Marguerite et Aimé Maeght, rencontrés par l’intermédiaire de Tristan Tzara en 1947. Pour leur fondation de Saint-Paul de Vence, l’artiste imagine un labyrinthe et commence à créer des maquettes ici exposées, lesquelles aboutiront ensuite à d’imposantes œuvres en béton, en marbre, en fer, en bronze et en céramique.
Si pendant ses dernières années, Joan Miró se libère du passé pour explorer de nouveaux horizons, il éprouve également le besoin de renouer avec la spontanéité et la force expressive de l’art pariétal. En 1957, une visite à la grotte d’Altamira le bouleverse durablement, l’amenant à travailler au doigt à même le sol et à utiliser des pigments ocre et des tons de terre. Une grande toile brûlée en son centre témoigne alors de son refus des formes sclérosées au profit de symboles essentiels, aussi denses et chargés que les inscriptions préhistoriques, ces racines profondes de l’art où nature et spiritualité se confondent pour l’éternité.
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« Miró », du 13 juillet au 24 novembre 2024, La Banque, musée des cultures et du paysage, 14, avenue Joseph Clotis, 83400 Hyères