« Nous merveillons ». C’est autour d’un mot graine, d’un mot magique aux multiples ramifications, qu’a été pensée la Biennale de Melle pour sa 10e édition. Orchestrée par son commissaire, l’artiste Evariste Richer, elle se révèle en parfaite symbiose avec le paysage local où se lit toute la trace du passé… Capitale du Mellois protestant, la commune des Deux-Sèvres sait en effet jouer de l’alliance entre ses atouts patrimoniaux et ses aménagements botaniques récents, à l’exemple du jardin de résistance, Jardin d’eau – jardin d’orties, réalisé en 2007 par Gilles Clément. Penser le paysage, travailler avec le vivant, c’est alors insuffler une énergie verte qui se déploie en parfaite harmonie avec l’environnement. « Tout est fleur à Melle », indique le commissaire, avant de préciser que « le pouls de la nature, de ses habitants et l’épaisseur de son histoire sont le terreau fertile d’un présent militant. » Fort de ce constat, il a pensé la manifestation comme « une cristallisation d’œuvres, un manifeste issu du regard que je porte en tant qu’artiste sur notre époque ». Réunies le temps d’un été, les œuvres d’une cinquantaine d’artistes sont déployées dans la ville, ses halles, sa salle des fêtes, son arboretum, tout comme ses principaux monuments, à l’image de son temple et de ses églises, véritables joyaux de l’art roman.
Centre névralgique de la biennale, l’hôtel de Ménoc, ancien palais de justice de style néogothique, accueille dans son espace labyrinthique les propositions qui donnent le ton à la manifestation : de la salle des pas perdus au grenier, le spectateur est happé par une narration où se devinent tous les enjeux et les mutations du paysage planétaire. Dès l’entrée, aux côtés d’une photographie de Bruno Serralongue qui documente une action clandestine pour préserver une tourbière dans le Marais poitevin, d’une œuvre de Pierre Ardouvin et d’un étrange monstre endormi réalisé par Thomas Schütte, le regard se pose sur ce qui semblerait être une forêt déracinée, une installation de Didier Marcel dont la forme verticale et irrégulière des troncs dialogue avec les huit piliers de la salle voûtée. Après avoir emprunté l’escalier qui mène à l’ancien tribunal, parsemé d’un diptyque photographique de Cécile Le Talec et d’une vidéo panoramique, Jardin égaré, de Jean-Claude Ruggirello, le parcours se poursuit dans la salle d’audience et dans le bureau du juge où les œuvres de Mathieu Mercier, d’Hugues Reip et de Mario Merz suggèrent entre elles de subtils écarts tout comme de profonds échos. Établi autour de correspondances où les œuvres, tout en tensions et rapprochements, mettent en jeu des esthétiques et des médiums différents, le parcours permet de saisir les convergences tissées entre les démarches. Ainsi, une sculpture en marqueterie de paille de Marie Sirgue, qui rappelle la disparition des meules, fait face à une photographie de Tania Mouraud où sont captés les reflets du paysage sur les plastiques qui protègent les ballots agricoles. Plus haut, près de la Mer poubelle, une grande tapisserie de Mona Cara, l’installation d’Éric Baudart, un ventilateur évoluant dans le bain d’huile d’un aquarium, établit un lien avec les éoliennes perceptibles par la fenêtre dans le lointain.
La biennale en appelle également à la déambulation, l’œil partant à la rencontre des nombreuses installations qui émaillent le territoire de la commune, à l’instar d’une œuvre de Jan Kopp présentée à la Salle Jeanne d’Arc, qui se compose de centaines de tiges de chardons renversées et suspendues au plafond. Entre grâce et inquiétude, des hétérotopies visuelles et poétiques se font jour, de lieu en lieu patrimoniaux, mais aussi au fil de la trame végétale melloise, le visiteur arpente la géographie, prend la mesure de la topographie et façonne in fine une pensée buissonnante.
La Marelle de Dominique Ghesquière, articulée autour de roches gravées disposées dans l’herbe, prend ainsi place dans l’écrin du petit verger du Clos Marie et fait alors songer à une pierre tombale… Aux abords du Chemin de la Découverte, site classé Jardin Remarquable, une version en bois du célèbre Homme de Bessines de Fabrice Hyber semble comme en lévitation au-dessus du bassin de la Fontaine aux lépreux. Au sein de cet écrin bordé de bocages, se découvre également les Jardins portables de l’artiste autrichien Lois Weinberger (1947-2020), véritable pionnier dont le travail aura grandement contribué à relancer l’entretien entre l’art et la nature dans les années 1990. Les travaux d’artistes émergents, confirmés mais aussi historiques, qu’il s’agisse de Martine Aballéa, John Giorno, Katinka Bock, Juan Muñoz pour ne citer que ces derniers, jalonnent ainsi la biennale établie notamment en partenariat avec les trois Fonds régionaux d’art contemporain de la région Nouvelle-Aquitaine. Le soleil estival les révèle et convoque également d’inattendues épiphanies lorsque le regard, posté vers le clocher de l’église Saint-Pierre, découvre le Métaprisme d’Evariste Richer inauguré pour l’occasion. Fruit d’une commande publique dont le programme ambitieux couvre la prestigieuse triade romane, ce dernier propose de rejouer une interprétation d’un photométéore, à savoir l’arc-en-ciel : l’église tout entière devient aux yeux du regardeur un prisme minéral et millénaire qui, jouant avec la diffraction de la lumière, en appelle aux manifestations mirifiques, méditatives si ce n’est merveilleuses.
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« Nous Merveillons - 10e Biennale internationale d’art contemporain de Melle », du 29 juin au 29 septembre 2024, divers lieux, 79500 Melle