L’on met souvent à toutes les sauces la formule de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, à tel point qu’elle en est devenue galvaudée : « Il faut que tout change pour que rien ne change ». Au lendemain du premier tour des élections législatives anticipées de 2024, on peut cependant fortement douter que si tout change, rien ne changera. La perspective inédite que le Rassemblement National (RN) obtienne une majorité absolue ou relative à l’Assemblée nationale et de voir entrer Jordan Bardella à Matignon constituerait un séisme dans l’histoire de notre démocratie. Elle s’accompagnerait de bouleversements dans tous les champs de la société, l’économie, l’Europe, la politique étrangère… Et pour la culture aussi, comme nous l’a déclaré la semaine passée Roger Chudeau, député sortant et référent du groupe RN à la commission des affaires culturelles et de l’éducation à l’Assemblée nationale. Ce dernier annonçait notamment « une meilleure répartition des crédits [du ministère de la Culture] afin d’enrayer la gabegie budgétaire », vouloir classer « monuments historiques » des œuvres privées, et permettre à des jeunes de participer à des chantiers de restauration du patrimoine. Toujours selon lui, « il est essentiel de faire la distinction entre "l’art contemporain" entendu comme l’ensemble de la scène artistique actuelle et "l’art contemporain", entendu non plus comme une période historique, mais comme un genre à part entière devenu lui-même le nouvel art institutionnel ». Une vieille rhétorique.
Face à la possible accession au pouvoir de l’extrême droite, le monde de la culture a mis du temps à se mobiliser. Mais, depuis quelques jours de nombreuses tribunes ont paru dans des quotidiens : « Contre les discours de haine et de division, un Nouveau Front populaire des arts et de la culture » (Libération, 26 juin) ; « Nous ne voulons pas d’une nuit noire au pays des Lumières » (Libération, 28 juin) ; jusqu’à « L’appel de 200 philosophes contre l’accession de l’extrême droite au pouvoir » (Libération, 1er juillet). De son côté, sortant de son devoir de réserve, Mohamed Bouabdallah, conseiller culturel de l’Ambassade de France aux États-Unis et directeur de la Villa Albertine, a annoncé dans une tribune au Monde que si le RN parvenait au pouvoir, il démissionnerait. « Entre bourreau et résistant, j’ai choisi », écrit-il courageusement.
De son côté, le Festival d’Avignon a décidé d’organiser dans la nuit du 4 au 5 juillet 2024 dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes « La Nuit d’Avignon », « une nuit de mobilisation contre l’extrême droite ». Sont déjà annoncés Camille Étienne, Clément Viktorovitch, Caroline Guiela Nguyen, Julien Gosselin, Corinne Masiero, Baro d’evel, Agnès Tricoire, Boris Charmatz, Lola Arias ou JoeyStarr. « Fidèle à ses valeurs fondatrices, convaincu qu’un autre projet de société progressiste, populaire, démocratique, républicaine, féministe, écologiste, antiraciste est désirable, le Festival d’Avignon, par l’appel à rejoindre la Nuit d’Avignon, souhaite incarner l’endroit vital du débat sociétal et politique », soulignent les organisateurs. L’urgence est là, il ne reste plus que quelques jours à la mobilisation. Le 7 juillet à 20 heures, les urnes auront parlé.