La première exposition de la Fondation de l’Hermitage en 1984 s’intitulait «L’Impressionnisme dans les collections romandes». Un courant artistique qui la caractérise. Comment cela est-il venu ?
Grâce à François Daulte, le premier directeur de l’Hermitage, qui était un grand spécialiste de l’impressionnisme. Il est notamment l’auteur des catalogues raisonnés d’Auguste Renoir, d’Alfred Sisley et de Frédéric Bazille. L’impressionnisme est aussi contemporain à cette maison qui a été construite au milieu du XIXe siècle et dont les cimaises sont tout à fait celles pour lesquelles les tableaux de ce mouvement ont été peints.
Les directions successives ont continué sur cette lancée et ont régulièrement exposé les protagonistes de ce groupe artistique novateur, leurs précurseurs et leurs héritiers. Nous présenterons d’ailleurs pendant l’été la collection du musée Langmatt, à Baden. Elle a été constituée au début du XXe siècle et possède des chefs-d’œuvre signés Auguste Renoir, Claude Monet, Camille Pissarro, Alfred Sisley, Paul Cézanne, Edgar Degas ou encore Paul Gauguin. Une manière de boucler la boucle quarante ans après l’exposition « L’Impressionnisme dans les collections romandes».
Vous êtes directrice de la Fondation de l’Hermitage depuis 2011. Mais vous y êtes entrée bien plus tôt, en tant que collaboratrice scientifique de Juliane Cosandier, laquelle a dirigé l’institution pendant seize ans. N’avez-vous jamais eu envie d’aller voir ailleurs?
À mon arrivée en 1998, je suis tombée amoureuse de l’Hermitage au premier regard. Ici, on se trouve à l’écart, en pleine nature, au milieu d’un parc magnifique. C’est un lieu magique que le public adore. La très grande liberté dans la construction des projets et le dynamisme de l’équipe font que cet endroit est devenu mon second lieu de vie.
Nous l’avons dit, le musée s’est fait une spécialité des courants impressionnistes, postimpressionnistes et jusqu’à la modernité de la première moitié du XXe siècle. Vous avez suivi cette ligne avec quelques entorses : une exposition sur Asger Jorn, que vous adorez; une autre sur la collection de la Banque cantonale vaudoise peu après; « Basquiat, Dubuffet, Soulages... une collection privée » en 2016 ; et, jusqu’au 9 juin 2024, une présentation de l’œuvre de Nicolas de Staël. L’art contemporain n’a-t-il pas sa place à la Fondation ?
La demeure est la première œuvre de chacune de nos expositions. Il faut toujours faire avec elle, réfléchir à des parcours fluides, en sachant que les histoires que nous voudrons raconter seront forcément séquencées par les petites pièces que les visiteuses et visiteurs traversent. L’art contemporain y a toute sa place ; l’œuvre puissante et colorée de Nicolas de Staël vit ainsi très bien entre nos murs. Mais nous sommes contraints par l’architecture du bâtiment. Il faut pouvoir y faire entrer les œuvres, car nous avons des limites de taille des caisses de transport.
Ce que j’aime beaucoup, et que j’ai essayé d’appliquer depuis que j’ai repris la direction, ce sont les projets thématiques, très transversaux, aussi bien en termes de chronologie que de techniques. Nous avons monté une exposition sur les « Fenêtres » [en 2013], depuis la Renaissance, au moment où ce thème apparaît dans la peinture, jusqu’à nos jours. Une autre sur les « Pastels » [en 2018], un médium qui naît au XVIe siècle, traverse le temps et se perpétue au XXIe siècle avec des œuvres de Robert Mangold ou de Nicolas Party, l’un des grands pastellistes contemporains. Et, plus récemment [en 2019], l’exposition « Ombres », qui explorait ce thème de la Renaissance à nos jours également.
L’exposition « Nicolas de Staël » est une coproduction entre l’Hermitage et le musée d’Art moderne de Paris. Vous concluez souvent des partenariats avec des institutions prestigieuses. Cela est dû à l’excellente réputation de l’institution et à la qualité de ses expositions. Mais est-ce aussi le fait qu’être un musée privé facilite les choses ?
Je ne crois pas que ce soit lié. En quarante ans d’existence, la Fondation de l’Hermitage s’est constitué un beau carnet d’adresses. Nous avons de très bonnes relations avec beaucoup de musées, et notre petite équipe est extrêmement compétente et redoutablement efficace. Chacune de nos expositions fait l’objet d’un catalogue scientifique très élaboré. Tout cela contribue à notre réputation. L’Hermitage a une âme particulière, c’est une demeure du XIXe siècle convertie en musée. Ses espaces s’adaptent avec bienveillance à de nombreuses formes artistiques, et le caractère accueillant et familier de ses salles crée un lien de proximité et de complicité avec les œuvres. C’est un musée intime, qui favorise une appréhension directe des œuvres et les rend naturellement accessibles à l’intuition, à l’émotion.
Certains avancent que les musées privés peuvent monter des expositions que les institutions publiques ne pourraient pas se permettre – comme à Paris avec les expositions de la Fondation Louis-Vuitton ou de la Bourse de Commerce – et que ces structures aux moyens quasi illimités tendent à fragiliser les institutions publiques...
Ce n’est pas notre cas. La Fondation Louis-Vuitton, par exemple, et la Fondation de l’Hermitage fonctionnent selon deux modèles économiques très différents. La première est une fondation d’entreprise qui concentre les activités de mécénat du premier groupe de luxe au monde. La seconde a été créée par une famille, les Bugnion, à l’époque où elle fait don de la maison et d’une partie de son parc à la Ville de Lausanne afin de donner une nouvelle destinée à ce patrimoine familial qui lui était cher. La Fondation de l’Hermitage n’a pas de fortune, et nous devons lever l’intégralité des fonds de nos projets. Nous pouvons nous appuyer sur une fondation de soutien mise en place par le docteur Michel Bugnion. Les sources principales de financement sont la billetterie, les fondations philanthropiques, les sponsors, les mécènes, le cercle des Amies et Amis de l’Hermitage, ainsi que la Ville de Lausanne.
Les collections du musée sont constituées de dons, legs et dépôts depuis son ouverture en 1984. Elles comptent près de 800 pièces. À quel rythme ces collections évoluent-elles ? Avez-vous le droit d’acheter des œuvres?
Les legs et donations jouent un rôle essentiel dans l’histoire de l’Hermitage. Les travaux d’agrandissement souterrain du musée, en 2003, ont pu être réalisés grâce à un legs. Il arrive aussi que nous recevions de l’argent dans l’objectif d’acheter des pièces. Et nous accueillons régulièrement des dons d’œuvres. En 2023, une étude d’Édouard Vuillard, Coin de bois, est ainsi une donation de la Fondation Botnar, une fondation philanthropique basée à Bâle.
Nous essayons de montrer nos collections aussi souvent que possible et de construire les projets en partant d’elles. C’était le cas de l’exposition « Vuillard et l’art du Japon » organisée [en 2023] autour d’une peinture très japonisante que nous avons reçue en legs [La Maison de Roussel à La Montagne]. Autoportrait en buste, de trois quarts à gauche d’Henri Fantin-Latour était le point de départ de l’exposition « Ombres ». En 2026-2027, le bâtiment sera en rénovation. Après sa réouverture, j’aimerais beaucoup consacrer une rétrospective à Berthe Morisot en partant d’un très beau tableau que nous avons reçu en don en 2015 [Miss Reynolds].
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« Nicolas de Staël », 9 février - 9 juin 2024 ;
« Chefs-d’œuvre du musée Langmatt. Boudin, Renoir, Cézanne, Gauguin... », 28 juin - 3 novembre 2024, Fondation de l’Hermitage, route du Signal 2, 1018 Lausanne.