La Fondation Prada collectionne les œuvres. En parallèle, elle constitue un autre corpus, lui beaucoup plus éphémère et tout à fait original : les expositions. Pour le dire plus clairement, l’institution fondée et dirigée par Miuccia Prada à Milan est animée d’un tropisme pour les répliques d’accrochages historiques.
En 2007, elle reconstituait quasi à l’identique la fameuse « When attitudes become form », montée par Harald Szeemann à la Kunsthalle de Berne en 1969. Sous la houlette de Germano Celant, l’inventeur du terme « Arte povera », la Fondation réveillait cette présentation majeure qui mit en miroir les travaux des artistes minimal-conceptuels américains avec ceux de leurs homologues européens. Pour raconter l’œuvre de Pino Pascali, elle procède de façon similaire, en réactivant les premières expositions de l’artiste italien, fine fleur de l’Arte povera, tragiquement disparu en 1968 dans un accident de moto à l’âge de 32 ans.
Contrairement au palais vénitien de « When attitudes » version 2 – forcément très éloigné de l’architecture de la Kunsthalle bernoise –, les box où sont exposés les œuvres de Pascali cherchent à simuler l’espace des galeries où elles ont été présentées entre 1965, son premier solo show à la Galleria La Tartaruga de Rome, et 1968, son dernier accrochage monographique à la Biennale de Venise. Cette immersion n’est bien sûr pas totale, mais elle permet au visiteur de constater l’importance cardinale que l’artiste donnait à la scénographie. Comme en 1966 chez Sperone à Turin, lorsqu’il expose sa série Armi, fausses armes de guerre bricolées, mais plus vraies que nature, qu’il réunit au centre de la pièce dans la configuration d’une batterie défensive. Ou encore ce pont suspendu en paille de fer qui encombrait l’espace de son exposition vénitienne. Sans oublier ces sculptures de cétacés et de dinosaures, jamais représentés en entier, dont les pattes ou les queues traversent les murs et le sol.
Cette invention des formes, alliée à une inspiration naturaliste et à l’utilisation d’une très large variété des matériaux, épate chez un artiste à la carrière météoritique. Pour Mark Godfrey, le commissaire de l’exposition, elle est aussi propice à un accrochage pédagogique. Une autre partie de l’exposition montre ainsi le travail de Pino Pascali classé par matière. Les œuvres en fausse fourrure, en Éternit, en pièces détachées d’automobile ou encore en paille de fer sont présentées dans le contexte d’une époque de boom économique qui voit l’essor des magazines et de la publicité. En cela, Pino Pascali est représentatif de ces artistes venus à l’Arte povera par le biais du pop art – il faut voir ses peintures Lips de 1964 – avant de s’en détacher, jugeant le mouvement à la fois trop américain et sa position trop hégémonique sur un marché de l’art que les « poveristes » combattent.
Divisée en quatre sections, l’exposition milanaise insiste aussi sur le rapport à l’image de l’artiste. Pino Pascali se photographiait beaucoup en compagnie de ses œuvres. « Ce n’étaient ni des documents de performances ni des instructions sur la manière d’interagir avec les œuvres, écrit Mark Godfrey dans le catalogue. Ces images répondaient à deux objectifs. Premièrement, en tant que matériel promotionnel, elles étaient plus accrocheuses que les prises de vues d’installations formelles et sobres d’autres artistes. Deuxièmement, pour inciter le public, qui, en les voyant, aurait une bonne idée d’aborder une exposition inhabituellement imaginative et ludique. »
Les photos de Claudio Abate, Ugo Mulas, et Andrea Taverna montrent ainsi Pino Pascali se mettant en scène, jouant avec la Vedova Blu, énorme araignée en peluche bleu électrique ici exposée devant son image en noir et blanc agrandie en format géant. Ou se promenant au milieu de 32 mq di mare circa, ces bacs en zinc galvanisé rempli d’une eau colorée qui déploie toutes les nuances du bleu de la Méditerranée et qui sont parmi les chefs-d’œuvre absolus de l’artiste.
« Pino Pascali », jusqu’au 23 septembre 2024, Fondazione Prada, Largo Isarco 2, Milan, Italie.