Jesse Darling : Solo Show
Le monde de Jesse Darling, c’est celui des marginaux, des délaissés qui s’incarnent dans des constructions d’objets en souffrance. Avec une empathie et un sens du bizarre, il a organisé son « Solo Show » autour de trois sculptures brutalistes, d’un parcours d’objets extravagants et délicats, et de quelques aquarelles érotiques, jouant avec les symboles religieux et les représentations du phallus. À l’entrée nous attend Come on England (Bulldog), la silhouette d’un animal qui lève la patte construit avec une barrière de police et des tubes soudés. Sur ce qui pourrait figurer le cou de l’animal est fiché un drapeau en patchwork de torchons à carreaux où l’on reconnaît la triple croix de l’Union Jack.
Sous l’apparence d’un grand geste sculptural, on devine mélange de raillerie à l’égard des emblèmes de la nation et de respect envers les supporters. Au fond de la galerie, se trouve une étagère en métal croulant littéralement sous des classeurs lestés de plaques en béton. Avant elle, sur l’un des côtés, est appuyé un grand panneau en métal contre une cimaise qu’il éclaire.
Entre ces signes d’une autorité contestée, on trouve ici un bras qui sort du mur en un geste de mendicité, ou ailleurs un très long tuyau de caoutchouc prolongeant une poire fixée au mur teintés en rose vif. Dans un recoin se tient une canne anglaise portant une bûche et rattachée par une chaîne à un râteau, et cela ressemble au résumé d’une vie. Personnages, allégories, les modes d’expression varient pour dire des difficultés à exister à l’intérieur des politiques hygiénistes ou religieuses. Auréolé du Turner Prize 2023, Jesse Darling sait avec rage et tendresse interroger sa propre position et préserver son intégrité.
Du 3 mai au 1er juin 2024, Galerie Sultana, 75, rue Beaubourg, 75003 Paris
Aysha E Arar : There was love, there was death, and there was you
Aysha E Arar : Dear red bird, look at me in the eyes
Aysha E Arar, artiste palestinienne vivant à Jaljulia, ville arabe en Israël, expose en deux endroits simultanément. À la galerie Dvir, ce sont des œuvres récentes, dessinées pour la plupart au fusain, stylo à bille et pastel, sur des tissus blancs nommés kafans, le linceul musulman. Ces œuvres parlent d’amour et témoignent de la tragédie, elles engagent aussi un dialogue avec l’histoire de l’art de circonstance. Sans adopter une posture militante, elle continue de peindre en faisant place à l’événement. Le kafan a une signification symbolique forte, mais est aussi le vêtement commun à tous. Le trait d’Aysha E Arar est simple, allusif, proche du dessin d’enfant et de l’écriture. Ses œuvres sont nourries à différentes traditions, et sur les murs elle répond à la déshumanisation par la défense des oiseaux : « Birds have the right to fly. Birds are not numbers ». Comme des oiseaux, deux anciennes robes de l’artiste sont déployées à l’horizontale sur les murs. Des scènes ont été peintes sur l’étoffe et l’une d’elles a pour titre Guernica.
À la galerie Sans Titre, c’est un accrochage dense et foisonnant de peintures sur tissus, dessins encadrés, dessins muraux, qui mêlent la fable, le graffiti et l’esprit de la miniature orientale. Ces deux expositions délivrent ensemble un formidable message d’intelligence et de vie.
Du 27 avril au 13 juillet 2024, Galerie Dvir, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris
Du 27 avril au 1er juin 2024, Sans Titre, 13, rue Michel-le-Comte, 75003 Paris
William Anastasi : William Anastasi, 1933-2023. This is not my signature
Le lancement d’un livre publié chez Mousse Publishing consacré à William Anastasi (1933-2023) fournit l’occasion de cette exposition. La plupart des facettes de son œuvre et des époques y sont représentées. Il y a des pièces à protocole, de nombreuses variantes de dessins réalisés à l’aveugle, un magnifique certificat d’inauthenticité, une vidéo pionnière et enfin des tableaux. L’installation vidéo consiste en un moniteur au sol et, placé derrière lui, la caméra raccordée qui pointe l’angle entre deux murs. Tous les grands thèmes des débuts de l’art vidéo sont là : critique de la télévision et des sociétés de surveillance, ainsi que le goût de la tautologie.
Un autre aspect bien représenté est la pratique du dessin à l’aveugle, notamment sur des papiers glissés dans la poche. À la façon d’un poème, une facture d’abonnement de métro est parsemée de petits gribouillis au crayon accomplis durant un trajet. Dans l’ultime salle, les différentes personnalités artistiques d’Anastasi se trouvent réunies : le portrait de Donald Duck tracé au bâtonnet de peinture blanc sur fond noir, allusion à l’enfance et au pop, une Abandoned Painting (titre à double sens au moins) en quelques traits de noir sur noir, et un Burst Drawing, grand dessin composé de milliers de traits blancs tracés yeux fermés du centre à la périphérie. Le concept et le geste ne s’opposent pas chez Anastasi, mais travaillent ensemble à élargir le champ des possibles.
Du 28 avril au 15 mai 2024, Jocelyn Wolff, 43, rue de la Commune, 93230 Romainville
Vimala Pons : I promise I’ll come and rescue you
Actrice, metteuse en scène et artiste de cirque, Vimala Pons est partie d’une idée simple pour réaliser une série de très courts films. Sur des séquences empruntées à des banques d’images, et qui servent le plus souvent à la communication d’entreprise, elle a posé sa voix accompagnée de nappes sonores au synthétiseur. Une dizaine d’écrans équipés d’un casque d’écoute permettent de visionner une quarantaine de ces films. Les images empruntées délivrent dans leur ensemble une certaine vision du bonheur, du bien-être et de la réussite, mais certaines se contentent de cadrer des activités quotidiennes ou des gestes professionnels. Les monologues en anglais vont du questionnement intérieur à la franche colère et à l’absurde, parfois les trois ensemble. Sur des mains qui pétrissent de la pâte s’avoue une envie de meurtre ou un défilé de pains industriel s’accompagne d’une réflexion sur la jeunesse. Par le discours, ces séquences plates deviennent des effets de caméra subjective. On s’émouvrait presque d’un homme qui fixe une ampoule à un plafonnier parce qu’on nous dit qu’il est la dernière image du père disparu.
Il se crée un étrange jeu de miroirs entre le cinéma d’avant-garde et les constructions modernes du récit d’un côté, et les films vendus au mètre (ou plutôt à la seconde) de l’autre. Empruntons à l’un des films qui montre le lustrage d’une cuvette de WC : « Aujourd’hui, j’ai vécu quelque chose que j’espère comprendre dans quelques jours ».
Du 27 avril au 8 juin 2024, Galerie Anne Barrault, 51, rue des Archives, 75003 Paris