En 1989, la chute du rideau de fer aurait pu marquer un déclin global des barrières frontalières. Leur nombre au contraire a augmenté à un rythme effroyable ces trente-cinq dernières années, passant d’à peine une poignée à la fin des années 1980 à plus de soixante-quinze aujourd’hui. Parmi ces murs de séparation, grillages électrifiés et autres barbelés militarisés, le dispositif le plus fameux, auprès du grand public européen du moins, est sans doute celui érigé entre les États-Unis et le Mexique, alors que le plus long du monde (supérieur à 3 000 kilomètres) se situe entre l’Inde et le Bangladesh.
L’ouvrage le plus controversé – et tragiquement ensanglanté depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 – s’appelle quant à lui, selon le côté géographique et/ou politique duquel on se place, « clôture de sécurité » ou « mur de la honte ». Dans tous les cas, quelle que soit la nomenclature adoptée, l’édifice atteste indiscutablement de l’échec du processus de paix enclenché au début des années 1990 entre l’État d’Israël et la Palestine.
Reviviscence
Dans un très beau court métrage réalisé en 2023, Aurélia Zahedi met en scène un mystérieux équipage à dos d’âne arpentant le désert de Judée, à l’est de Jérusalem, sur les hauteurs de la mer Morte. Nourri de témoignages récoltés auprès de communautés de Bédouins, le récit sensible, composé par une artiste dont l’écriture poétique se déploie aussi bien en images qu’en mots, est énoncé en arabe, sous-titré en français. Mêlant croyances, mythes et légendes à l’histoire récente d’un territoire de plus en plus contesté, Aurélia Zahedi imagine ce à quoi le trajet biblique de Bethléem à l’Égypte pourrait ressembler dans le contexte actuel de l’expansion coloniale en Cisjordanie. Les populations locales y sont continuellement contraintes, leurs villages, toujours plus enclavés, hébergeant tant bien que mal « les nomades [qui] ont fait naufrage depuis que le désert a des murs ».
Pièce majeure au sein d’un large ensemble (un rien éclectique) de sculptures, peintures, dessins et performance, le film d’Aurélia Zahedi donne son titre à l’exposition dans laquelle il est présenté. Accueillie dans l’espace intimiste du hammam désaffecté de l’Institut des cultures d’islam, dans le 18e arrondissement de Paris, « La Rose de Jéricho » renvoie au nom vernaculaire désignant en réalité trois plantes distinctes, mais qui toutes partagent une même propriété saisissante : la capacité de reviviscence au contact de l’eau. Les 30 mars et 1er juin 2024 se tiendront ainsi des « cérémonies d’éveil » des trois spécimens conservés dans de singuliers écrins de verre, à la fois vases, vitrines et socles, appelés « coffres cérémoniels » par une artiste qui se fera de nouveau conteuse, cette fois de vive voix, entre botanique et politique, élégie et chant d’espoir.
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« Aurélia Zahedi. La Rose de Jéricho », 20 janvier - 30 juin 2024, Institut des cultures d’islam, 56, rue Stephenson, 75018 Paris.