Le 18 janvier 2024, vous avez montré First Hug, un spectacle musical au théâtre Les Salons, à Genève, dont le titre est un jeu de mots sur votre nom. Pour ceux qui vous connaissent en tant qu’ancien directeur d’artgenève, plutôt actif dans le domaine de l’art contemporain, ce programme était étonnant. Pouvez-nous l’expliquer ?
Ce n’était pas exactement un spectacle musical. Il s’agissait du lancement de mon dernier disque, car, avant l’art, la musique est ma première passion. J’ai fait des études de musicologie et de composition. La musique m’a toujours accompagné, aussi bien dans ma galerie berlinoise qu’au Salon artgenève, où j’ai créé le département artgenève musique qui perdure, ce dont je me réjouis. J’ai enregistré à Berlin quelques albums avec le groupe La Stampa qui réunissait notamment Jörg Heiser, le coéditeur du magazine Frieze, et le commissaire d’exposition Jan Verwoert. Nos disques étaient distribués par les labels londoniens Rough Trade et Vinyl Factory. Nous avons fait quelques concerts, toujours en lien avec le monde de l’art. Nous avons ainsi joué lors du vernissage de la Biennale d’Istanbul, au Berghain, à Berlin, dans une mise en scène de Monica Bonvicini, ou encore pour l’ouverture d’Art Unlimited, à Bâle. Mais nous formions un groupe sans réelle stratégie. Nous composions, sortions un album, l’interprétions un peu, et ça s’arrêtait là. Ici, c’est autre chose. D’abord, parce qu’il s’agit d’une initiative personnelle, ensuite, parce que c’est un projet de vie que j’imagine décliner pendant très longtemps. Après Genève, le show tournera à Bruxelles, puis à Paris. Ce sera toujours la même musique, mais le spectacle différera à chaque fois.
Des artistes, des acteurs et des chefs de cuisine célèbres participent à ce projet. Comment avez-vous convaincu ces personnalités ?
Le milieu de l’art m’a permis de créer de solides relations. Je leur ai présenté le projet, et la passion semble avoir fait le reste. Comme ce moment gastronomique, en préambule du spectacle, avec une dégustation de toutes les recettes d’Alain Passard qui constituent le texte de base d’une des chansons du disque. C’est un show que j’ai aussi voulu en lien avec les arts plastiques, puisqu’il y a des œuvres sur scène, dont une sculpture textile de Jeanne Vicérial (représentée par la galerie Templon), des peintures de Michael Hilsman (par Sébastien Bertrand et White Cube), des photographies de Richard Kern (par Jousse Entreprise) et une pièce de Kiki Smith (par Pace Gallery). Ces objets d’art se déplacent d’un morceau à l’autre. Après le spectacle, le public peut monter sur le plateau pour les voir, comme il le ferait dans une exposition.
First Hug propose, il est vrai, un format assez singulier, mais qui me correspond à 100 %. L’idée est non pas de me mettre en avant en tant que créateur unique, mais de suivre la ligne que je me suis constamment donnée : rassembler, échanger, jouer sur les contrastes entre différents styles et créer de la pluridisciplinarité, tout en restant à taille humaine.
Au sujet de votre renvoi d’artgenève pendant l’été 2023, Palexpo SA, propriétaire du salon, a décidé de faire intervenir la justice. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Pas pour l’instant. Mais je me défendrai des faits qui me sont reprochés. J’ai toujours œuvré pour le bien d’artgenève. Le programme de l’édition 2024 était bien, ce qui montre que nous avions fait jusque-là du bon travail. C’est une opportunité pour moi de passer à autre chose après ces douze années à artgenève. Je souhaite une longue et belle vie à ce Salon que je considère un peu comme mon enfant.
Cela n’a visiblement pas étiolé votre fibre entrepreneuriale. Le 16 février 2024, vous lancez Gstaad Art, une toute nouvelle foire, dans la ville où Gagosian, Hauser & Wirth et d’autres galeries de premier plan ont installé une antenne…
Plus que jamais Gstaad Art n’est pas une foire. «Salon d’art» était le sous-titre que j’avais proposé pour artgenève et que j’avais à cœur d’utiliser. Avec un grand «S». Là, c’est aussi un salon, mais avec un petit « s» tant son format est modeste. L’idée est de réunir entre quinze et vingt galeries à Gstaad [Gessenay en français] pendant trois jours, au cœur du village, sous la tente de 2000 m2 du Menuhin Festival, que l’on transforme complètement. C’est un projet que j’avais eu envie de monter en 2020, lorsque je tenais les rênes d’artgenève, dans le but de me rapprocher des collectionneurs de cette région suisse et d’enrichir la visibilité du Salon.
Gstaad Art ouvre deux semaines après artgenève. Que répondez vous à ceux pour qui vous entrez en concurrence directe avec le Salon genevois ?
Qu’il n’y a absolument rien de frontal. C’est simplement la date idéale à Gstaad où beaucoup de monde se rend sans forcément descendre à Genève. Je l’ai d’ailleurs toujours imaginé comme un projet complémentaire à artgenève et non comme un concurrent. Au contraire, c’est un moyen de faire connaître le Salon à un autre public. Il s’agit de capter une audience internationale qui atterrit là-bas pour les vacances d’hiver et n’en bouge plus. En l’organisant du 16 au 18 février, nous tombons pile dans la période dite « semaine du Rosey », dénommée ainsi, car tous les étudiants de l’Institut Le Rosey, l’école privée la plus select au monde, vont à Gstaad avec leurs parents à ce moment. J’ajoute que Gstaad Art ne pourra pas s’agrandir, c’est physiquement impossible. La majorité des galeries présentes ne participent pas à artgenève et sont très heureuses que je leur offre cette opportunité.
On trouve tout de même dans la liste des exposants des galeries qui sont à artgenève comme Sébastien Bertrand.
C’est vrai, mais la plupart n’y sont pas. Je pense à Kurimanzutto [Mexico, New York], Galleria Continua [San Gimignano, Pékin, Les Moulins, La Havane, Rome, São Paulo, Paris, Dubaï], White Cube [Londres, Hong Kong, Paris, New York, West Palm Beach], Galerie Nächst St. Stephan [Vienne], Kreo [Paris, Londres] ou encore Air de Paris [Romainville]. Gstaad Art est un événement, petit mais très qualitatif, qui ne marche pas du tout sur les plates-bandes d’artgenève.
Outre les galeries, il y a une exposition installée sur la scène où joue d’ordinaire l’orchestre du Menuhin Festival.
Circus Series est un concept proposé par X Zhu-Nowell, art director du Rockbund Art Museum, à Shanghai, qui a travaillé pendant presque dix ans au Solomon R. Guggenheim Museum, à New York. L’exposition est réalisée par l’excellente commissaire Piper Marshall. Une quinzaine d’artistes sont réunis avec une ou deux pièces sur la thématique de l’archive. Les œuvres ne viennent d’ailleurs pas nécessairement des galeries exposantes. Les enseignes Xavier Hufkens [Bruxelles], Mendes Wood DM [São Paulo], Pace [New York, Séoul, Londres, Hong Kong, Genève, Los Angeles, Tokyo] ou encore Esther Schipper [Berlin, Paris, Séoul], qui ne sont pas présentes à artgenève, ont eu envie de participer à la première édition de Gstaad Art, mais sans forcément y tenir un stand. Circus Series, c’est un peu l’antithèse d’Art Unlimited, à Bâle. On est vraiment dans l’art très « limited », avec des travaux de petites dimensions, mais de très grande qualité.
Quels sont vos partenaires ?
J’ai la confiance de partenaires très solides qui se sont liés au projet comme la maison d’horlogerie F. P. Journe, la maison de ventes Phillips ou encore la maison de champagne Ruinart.
La gastronomie vous tient aussi à cœur. Réactiverez-vous le concept Night-Fall, proposé pendant artgenève, qui voyait de grands chefs en cuisine s’associer avec des artistes en salle ?
J’aimerais réveiller ce principe de restaurant éphémère pendant Watches & Wonders, l’importante Foire de l’horlogerie qui se déroule à Genève au mois d’avril. Je pense aussi à l’International Festival for Art & Gastronomy qui avait eu lieu à Paris en 2022 et à l’occasion duquel une quinzaine de tables prestigieuses avaient joué le jeu. Avec l’idée de l’emmener peut-être ailleurs, pourquoi pas à Milan, pendant le Salone del Mobile [Salon du meuble].
-
Gstaad Art, 16-18 février 2024, Sportzentrumstrasse 9, 3780 Gstaad.