Quand il s’est rendu, dans le cadre d’un partage successoral, dans un mas provençal aux environs de Bagnols-sur-Cèze, Frank Puaux, commissaire-priseur de la maison de ventes Ivoire Nîmes, ne se doutait pas de ce qu’il contenait.
« Lorsque nous arrivons sur place avec mon équipe, nous sommes tout d’abord rassurés : la maison est imposante et peut receler des objets de valeur, explique le commissaire-priseur. Le premier tour d’inventaire douche un peu notre optimisme, le mobilier et les œuvres d’art sont, somme toute, assez communs. En fouillant davantage, nous découvrons une dizaine de sculptures africaines qui m’intriguent. Elles paraissent anciennes et de bonne facture ».
Le commissaire-priseur poursuit ses recherches et interroge les ayants droit. S’ils n’ont aucune notion de la valeur des objets, ils révèlent néanmoins que ceux-ci auraient été collectés « dans la brousse dans les années 1950 » par leur ascendant, Jean Pouderoux, administrateur de la France d’Outremer (FOM) au Cameroun de 1949 à 1954, puis au Gabon de 1954 à 1966. « Ces informations m’ont alerté, j’ai tout de suite compris qu’il fallait l’avis d’un spécialiste, poursuit le commissaire-priseur. J’ai donc fait appel à l’expert parisien Stéphane Mangin ». Celui-ci atteste de l’intérêt de ces pièces. « Ce sont des objets inédits et rares, nous assure-t-il. Nous proposons notamment sept sculptures Fang, dont trois reliquaires Byeri, société initiatique, secrète, mythique pour les collectionneurs. Les cérémonies et rites Fang, complexes, très spectaculaires, ont été très sévèrement combattus par les missionnaires. Ils disparaissent presque complètement dès le début des années 1950 ».
Il faudra enchérir à hauteur de 10 000 euros pour un gardien de reliquaire Byeri à patine miel typique des Fang du nord du Gabon. Un masque Dan (Côte d’Ivoire) orné de cornes de gazelle est, lui, estimé entre 1 000 et 1 500 euros, et il faudra compter de 3 000 à 5 000 euros pour acquérir une figure de reliquaire en bois et cuivre du peuple Kota. « Le cadre successoral m’a permis de proposer des estimations très raisonnables pour le marché des arts premiers africains où les véritables découvertes sont aujourd’hui rarissimes. La provenance sincère devrait aiguiser l’appétit des collectionneurs. Ces pièces vont reprendre toute leur dimension chez les futurs acheteurs », explique l’expert.
Autre particularité de la vente : celle-ci présente cinq boucliers et une statuette malgaches estimés entre 400 et 1 000 euros. Ils proviennent de la collection du gouverneur René Fournier, qui défraie la chronique depuis deux ans. Ses ayants droit avaient en effet vendu 150 euros à un brocanteur un masque qui se révélera être un très rare masque Fang de la société Ngil. Proposé aux enchères en mars 2022 à Montpellier, il est finalement adjugé 5,25 millions d’euros avec les frais ! Consternée, la famille de l’ancien gouverneur a tenté d’annuler la vente. Le tribunal d’Alès, dans sa décision du 19 décembre 2023 (lire The Art Newspaper Édition française, février 2024), leur a donné tort.
« Objets d’art et de décoration, tableaux, mobilier et bijoux », jeudi 8 février 2024, Ivoire Nîmes, 21 rue de l’Agau, 30 000 Nîmes www.ivoire-france.com