Alors que l’Institut Giacometti à Paris s’est penché jusqu’au 14 janvier sur le « Nez » de Giacometti, un ensemble de cinq versions du travail du sculpteur réunies pour la première fois – complétées par le plâtre du Kunstmuseum de Bâle, intransportable, en hologramme et un hommage contemporain de Rui Chafes – et proposera du 23 janvier au 24 mars 2024 « Alberto Giacometti / Ali Cherri : Envisagement », le musée des Abattoirs de Toulouse aborde quant à lui les dernières années de l’artiste, marquées par sa reconnaissance internationale.
Le parcours, pensé avec la Fondation Giacometti, débute par l’évocation des liens entre le sculpteur et les existentialistes Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre, qui publie en 1946 L’existentialisme est un humanisme. Dans des vitrines sont juxtaposées de petites sculptures et des exemplaires de la revue Les Temps Modernes sur lesquels l’artiste a réalisé des dessins.
« Giacometti se moque de la Culture et ne croit pas au Progrès, du moins au Progrès dans les Beaux-Arts, ne se juge pas plus "avancé" que ses contemporains d’élection, 1’homme des Eyzies, l’homme d’Altamira, écrit Jean-Paul Sartre dans le numéro de janvier 1948 de cette revue. En cette extrême jeunesse de la nature et des hommes, ni le beau ni le laid n’existent encore, ni le goût, ni les gens de goût, ni la critique : tout est à faire, pour la première fois l’idée vient à un homme de tailler dans un bloc de pierre. Voilà donc le modèle : l’homme. » C’est à la femme qu’est consacrée la section suivante, qui prend la dimension de « déesse », selon l’écrivain Jean Genet. Dans ces peintures et sculptures, les figures inspirées de ses modèles étendent leurs longues silhouettes, en écho à la statuaire antique.
L’exposition de Toulouse s’éloigne d’une présentation « classique » de l’œuvre du sculpteur en se focalisant de façon inventive sur certains jalons importants de la carrière de l’artiste. S’inscrivant dans la veine de l’historiographie des expositions qui connaît un grand succès depuis quelques années, une salle évoque l’accrochage voulu et réalisé par Alberto Giacometti lors de sa première invitation en solo à la Galerie Maeght, à Paris, en 1951. L’artiste y conçoit de façon inédite une mise en espace de ses différentes pièces, comme Trois hommes qui marchent (petit plateau) de 1948, Quatre femmes sur socle de 1950 ou encore Le chat de 1951. Sur les murs de la salle sont aussi présentées des vues en noir et blanc prises à l’époque dans la galerie.
Plus loin, le visiteur se retrouve devant une scène de théâtre, celle de la pièce En attendant Godot de Samuel Beckett dans sa reprise au théâtre de l’Odéon à Paris en 1961. Pour ces représentations, Alberto Giacometti conçoit pour tout décor un arbre squelettique. Il en est présenté ici une reconstruction, accompagnée d’extraits sonores de la pièce. Cette salle trouve un écho dans le catalogue qui consacre un chapitre à la passion de l’artiste pour ce domaine. « L’intérêt de Giacometti pour le théâtre ne se situe […] pas dans l’illustration ou la recherche de motifs, mais interroge encore une fois sur l’articulation entre le réel et l’imaginaire », écrit Hugo Daniel.
Un autre espace est tout spécialement dédié à la relation qu’a entretenue le sculpteur avec le philosophe japonais Isaku Yanaihara, qui lui rendra visite à de nombreuses reprises dans son atelier du 14e arrondissement de Paris. Il sera aussi un passeur pour son travail au pays du Soleil-Levant. Ses échanges sont évoqués ici par une grande installation multimédia et immersive composée à partir de multiples photographies. À Toulouse, une plongée renouvelée dans l’œuvre du grand artiste suisse.
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« Le temps de Giacometti. 1946 – 1966 », jusqu’au 21 janvier 2024, Les Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse, 76, allées Charles de Fitte, 31300 Toulouse