Le Zentrum Paul Klee a réalisé une soixantaine d’expositions thématiques autour de l’œuvre de celui-ci, mais n’a jamais mis en place de présentation permanente. C’est désormais le cas depuis novembre 2023. Pourquoi avoir attendu si longtemps ?
Nous avons deux types de visiteurs : ceux, réguliers, qui connaissent l’artiste et aiment découvrir de nouveaux aspects et de nouvelles recherches autour de son travail; et ceux, occasionnels, qui viennent à Berne exprès, parfois de très loin, pour voir toute son œuvre, connaître l’homme et sa biographie. C’est pour ces derniers que nous avons organisé cet accrochage permanent qui va des débuts de la carrière de l’artiste à sa période tardive. Permanent mais pas statique. Cette présentation proposera des changements d’accrochage. Il faut savoir que 90 % de la production de Paul Klee est sur papier, un matériau fragile supportant mal la lumière. De ce fait, il y aura des rotations fréquentes. L’exposition sera aussi participative. Les spectateurs pourront choisir parmi une sélection d’œuvres de notre collection celles qu’ils voudraient voir. Nous nous sommes donné trois ans pour vérifier que cette présentation permanente répond aux attentes du public.
Et pour les visiteurs plus familiers avec l’œuvre de Paul Klee, qu’avez-vous prévu ?
Nous continuerons à proposer des expositions thématiques. La salle Focus présentera l’œuvre sous un angle particulier, comme actuellement avec la série des anges. Elle s’intéressera aussi à la réception de l’artiste par des artistes étrangers – des Éthiopiens, des Argentins, par exemple – qu’il a influencés.
Le Zentrum Paul Klee conserve 4 000 des 12 000 œuvres de l’artiste, ce qui constitue la plus grande collection de celui-ci au monde. Comment avez-vous organisé l’exposition « Kosmos Klee » ?
Nous l’avons élaborée de manière à ce qu’elle soit la plus représentative et qualitative possible. Nous racontons l’histoire de l’artiste avec les chefs-d’œuvre de notre collection. C’est aussi pour nous une façon de montrer le vrai Paul Klee, cet artiste qui dessine sur la table de sa cuisine parce qu’il n’a pas les moyens de louer un atelier et qui s’occupe de son fils pendant que sa femme Lily fait vivre le foyer en donnant des cours de piano.
Parfois les gens s’exclament : « Mais où sont les grands tableaux de Paul Klee ? Nous sommes très déçus de ne pas avoir vu les toiles de 4 mètres. » Ils ont cette idée très ancrée que toutes les productions de l’art moderne, surtout après la Seconde Guerre mondiale, sont forcément gigantesques. C’est aussi notre rôle d’éduquer le public.
Vous êtes la première à diriger à la fois le Zentrum Paul Klee et le Kunstmuseum de Berne. Il faut du courage et de l’énergie pour chapeauter ces deux institutions. Comment y êtes-vous arrivée ?
D’une part parce que le Zentrum et le Kunstmuseum abritent des collections formidables qui se complètent idéalement. D’autre part parce que les conseils de chaque fondation, en décidant de se réunir sous une même Dachstiftung [fondation faîtière], ont créé la possibilité de penser de manière stratégique. Pas seulement en accordant des prêts d’une institution à l’autre, mais en ayant, grâce à l’importance de leurs fonds, un puissant levier pour négocier avec des musées étrangers.
Comparé au Kunstmuseum de Bâle, dont vous avez été la codirectrice de 2014 à 2016, et au Kunsthaus de Zurich, le Kunstmuseum de Berne reste une institution de taille modeste. Où en est le projet d’extension, consacrée notamment à l’art contemporain, dont le Canton parle depuis longtemps ?
Il avance. Nous avons lancé le concours d’architecture en 2022. Le jury a sélectionné trente-neuf bureaux internationaux, nationaux et bernois. Le gagnant sera proclamé à la fin du mois de janvier 2024. En mars, nous exposerons tous les projets au Kunstmuseum. Les travaux devraient probablement démarrer vers 2027. Pendant ce temps, les deux bâtiments actuels entreront en phase de rénovation, notamment énergétique, et resteront fermés pendant trois ans. L’inauguration du nouveau Kunstmuseum et de son extension est prévue aux alentours de 2030.
Vous êtes arrivée à Berne en 2016, deux ans après la réception du legs de la collection Cornelius Gurlitt, laquelle compte 1 600 œuvres. Un héritage problématique, puisqu’une partie des œuvres provient des spoliations par le régime nazi, mais néanmoins accepté par le Kunstmuseum. Où en est le travail de recherche sur cette collection ?
Il est plus ou moins terminé, même si nous restons ouverts à l’idée d’adapter nos estimations dans le cas où de nouvelles connaissances nous conduiraient à des réévaluations. Nous avons organisé trois expositions sur la collection Gurlitt afin de raconter au public son histoire, notre « aventure » avec elle et le processus que nous avons mis en place pour retracer les provenances des œuvres. À ce sujet, les résultats nous ont étonnés : il y a beaucoup moins de spoliations que ce que tout le monde pensait au début de l’affaire. Les neuf œuvres dont il était clairement établi qu’elles avaient été volées ont toutes été restituées aux familles de leurs propriétaires. Il reste encore un groupe d’une quinzaine d’œuvres qui nécessitent des recherches approfondies. Une base de données accessible en ligne rend compte en temps réel des conclusions de nos recherches.
Quels sont les grands chantiers qui attendent le Zentrum Paul Klee ?
Le bâtiment de Renzo Piano aura 20 ans en 2025. Il est bientôt temps de le rénover. Certains systèmes techniques doivent être changés, notamment ceux liés à la domotique. Et surtout tous les éclairages. Ceux que Renzo Piano avait installés fonctionnent avec des ampoules !
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Zentrum Paul Klee, Monument im Fruchtland 3, 3006 Berne; Kunstmuseum Bern, Hodlerstrasse 12, 3011 Berne.