Alors que le conflit entre les deux parties s’intensifie, que l’aide humanitaire peine à entrer à Gaza et que des négociations sont en cours pour libérer quelque 240 otages israéliens, de nombreuses institutions hésitent sur la position à adopter face à cette crise.
L’Institut du monde arabe à Paris a immédiatement reporté plusieurs événements liés à son exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » (jusqu’au 19 novembre) – qui ont depuis été reprogrammés – tandis que le Victoria and Albert Museum (V & A) à Londres a déclaré à The Art Newspaper : « Nous sommes profondément attristés par la perte tragique de vies humaines en Israël et en Palestine ».
Pendant ce temps, le Musée d’art contemporain de Barcelone (Macba) a publié une déclaration sur Instagram appelant à un cessez-le-feu immédiat, à l’ouverture de couloirs humanitaires et à la libération des otages. « Nous pleurons les morts des deux côtés de la frontière gazaouie et voulons exprimer notre solidarité avec la douleur de toutes les victimes. » Le musée ajoute : « Nous sommes profondément préoccupés par les tentatives visant à faire taire les voix qui, au sein de la communauté artistique internationale, défendent le droit à la vie du peuple palestinien ».
Le 7 octobre, des terroristes du Hamas ont pénétré en Israël pour y perpétrer un carnage, tuant plus de 1 400 personnes et prenant environ 240 otages. Plus de 120 personnes ont été tuées par des hommes armés qui ont dévasté le kibboutz de Be’eri. Les autorités israéliennes ont déclaré qu’au moins 260 personnes qui assistaient à un festival de musique ont été tuées à l’extérieur du village de Re’im. L’armée israélienne a réagi à ces atrocités en déclarant la guerre au Hamas, en lançant des frappes aériennes et en assiégeant Gaza, avant d’y pénétrer. Plus de 10 000 Palestiniens auraient été tués, pour la plupart des civils, selon les chiffres du ministère de la Santé de la bande de Gaza, administrée par le Hamas.
Le 13 octobre, Israël a demandé à 1,1 million de Palestiniens vivant dans le nord de la bande de Gaza de quitter la zone, une directive que les Nations unies ont jugée « irréalisable » et qui « pourrait transformer ce qui est déjà une tragédie en une situation calamiteuse ». La situation s’est rapidement aggravée. Le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, a exhorté le gouvernement israélien à accepter une série de « pauses humanitaires » dans les combats. L’armée israélienne a affirmé le 8 novembre avoir détruit 130 tunnels du Hamas. Annonçant la mort d’un de ses chefs militaires, Tsahal ajoute que le groupe terroriste a perdu le contrôle du nord de la bande de Gaza.
Face à ce conflit, les artistes ont répondu par deux lettres ouvertes. Certains des plus grands noms de l’art contemporain, dont Nan Goldin, Rebecca Lamarche-Vadel, Neïl Beloufa et Oscar Tuazon, font partie des 150 artistes, conservateurs, musiciens, écrivains et éditeurs qui ont signé une lettre ouverte publiée par Artforum le 19 octobre pour soutenir les Palestiniens : « Nous sommes solidaires du peuple palestinien. Nous demandons aux organisations artistiques de faire preuve de solidarité avec les travailleurs culturels et d’appeler nos gouvernements à exiger un cessez-le-feu immédiat ».
Cette lettre a suscité les critiques d’un certain nombre de personnalités influentes du monde de l’art, car elle omettait initialement de mentionner le massacre du 7 octobre perpétré par le Hamas. Plusieurs signataires, dont les artistes Peter Doig et Joan Jonas, ont retiré leur nom à la suite des réactions négatives qu’elle a provoquées. Le 23 octobre, Artforum a publié une mise à jour de la lettre, indiquant que le rejet de la « violence contre tous les civils, quelle que soit leur identité » incluait une « révulsion partagée à l’égard des horribles massacres de 1 400 personnes en Israël perpétrés par le Hamas le 7 octobre ». Les éditeurs d’Artforum ont déclaré que la lettre n’avait « pas suivi le processus éditorial normal d’Artforum ». Le rédacteur en chef, David Velasco, a été licencié. Trois autres rédacteurs en chef du magazine ont démissionné.
La question se pose donc de savoir si les musées, qui œuvrent pour la compréhension culturelle et historique mutuelle, doivent rester silencieux ou se confronter à la crise en cours. Le Conseil international des musées (ICOM) a publié précédemment des déclarations concernant l’invasion de l’Ukraine par la Russie et le meurtre de George Floyd. En juin 2020, l’organisation affirmait : « Les musées ne sont pas neutres. Ils ne sont pas séparés de leur contexte social, des structures de pouvoir et des luttes de leurs communautés. Et lorsqu’ils semblent l’être, c’est un choix – un mauvais choix. »
Dans une lettre datée du 22 octobre, la branche israélienne de l’ICOM a demandé à l’organisation d’adopter une position active et éthique sur la guerre et de « condamner les actes de terreur [du Hamas] avec la plus grande fermeté ». La lettre ajoute : « Nous souhaitons également rappeler à la communauté de l’ICOM qu’Israël est une démocratie libérale qui protège la liberté d’expression, la diversité et les arts – des valeurs que la communauté de l’ICOM partage, comme le montrent les dernières révisions de la définition d’un musée. Ce sont précisément ces idéaux qui sont attaqués par le Hamas dans son assaut contre nos villes et nos communautés ».
« Le Conseil international des musées exprime sa profonde inquiétude face à la violence actuelle qui affecte les civils israéliens et palestiniens, et déplore les conséquences significatives que le conflit a eues sur eux au cours des dernières semaines, a réagi l’organisation le 25 octobre. L’ICOM présente ses plus sincères condoléances à ceux qui ont perdu leur famille, leurs amis et leur communauté à cause de la violence. » Et en appelle à un « cessez-le-feu immédiat ».
La déclaration fait également référence à la Convention de La Haye pour la protection du patrimoine culturel et met en garde contre la contrebande ou la destruction d’objets culturels. Pendant ce temps, sur la place située à l’extérieur du musée d’art de Tel-Aviv, des organisations israéliennes telles que Mosaic United ont installé une table avec 200 sièges vides, représentant les otages disparus.
Le dilemme auquel est confronté le ministère britannique de la Culture, des Médias et des Sports, qui supervise 15 musées nationaux, a été mis en évidence le mois dernier lorsque, à la suite du massacre perpétré par le Hamas le 7 octobre, Lucy Frazer, secrétaire à la Culture, aux Médias et aux Sports, a proposé que la Football Association (FA) illumine l’arche de Wembley à Londres aux couleurs du drapeau israélien (l’étoile de David a été projetée sur des monuments de Londres, Paris, Bruxelles et Berlin en signe de solidarité avec Israël, le 10 octobre). Mais Israël ayant immédiatement déclaré la guerre au Hamas, la FA a décidé que les joueurs des équipes d’Angleterre et d’Australie porteraient un brassard noir en mémoire des « victimes innocentes des événements dévastateurs en Israël et en Palestine ».
Un porte-parole du Musée impérial de la guerre (IWM) à Londres explique : « En tant qu’autorité mondiale en matière de guerre et de conflit, l’IWM a pour mission d’explorer les causes, le déroulement et les conséquences de la guerre, depuis la Première Guerre mondiale jusqu’aux conflits actuels. Bien que nous ne prévoyions actuellement aucune activité liée aux événements qui se déroulent en Israël et en Palestine, notre programmation publique aide les visiteurs à comprendre l’impact dévastateur sur les gens ordinaires, les conséquences profondes et l’héritage durable de la guerre ».
Par ailleurs, un porte-parole du V & A a déclaré : « Notre collection contient des objets provenant d’Israël et de Palestine et nous avons déjà exposé des œuvres et développé des partenariats explorant le patrimoine culturel de la région, notamment en travaillant avec le musée d’art de Tel-Aviv, en accueillant une délégation des musées de Haïfa au V & A South Kensington et en établissant un partenariat avec le musée palestinien pour la conservation des textiles ».
À Paris, un représentant de l’Institut du monde arabe (IMA) indique que les événements liés à l’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » n’ont pas été annulés mais différés, en raison principalement de l’impossibilité pour certains artistes de se déplacer depuis le Proche-Orient. « Le président [de l’IMA] Jack Lang a pris en responsabilité la décision de reporter cette séquence afin de ne pas pénaliser les artistes palestiniens et de leur préserver un espace d’expression bien légitime dans le cadre de l’exposition. » La journée d’étude sur l’écrivain Jean Genet et un débat sur la Nakba (mot arabe signifiant « catastrophe », utilisé par les Palestiniens pour décrire l’exode de la région après la création de l’État d’Israël en 1948) se tiendront finalement le week-end des 18 et 19 novembre.
La France renforce sa sécurité
La France a été placée en état d’alerte maximale à la suite de l’attaque du Hamas en Israël et de l’offensive israélienne contre Gaza qui en a résulté. À la crainte d’une importation du conflit au Proche-Orient en France, s’est ajouté le meurtre d’un professeur de français, Dominique Bernard, à Arras (Pas-de-Calais), le 13 octobre, par un jeune radicalisé – presque trois ans, jour pour jour, après celui de Samuel Paty, décapité le 16 octobre 2020 par un terroriste islamiste. Dans un contexte national de passage en alerte « urgence attentat », le musée du Louvre a été temporairement évacué le lendemain, 14 octobre, ainsi que le château de Versailles plusieurs fois, à la suite d’une alerte à la bombe. Dans une allocution télévisée nationale, le président Emmanuel Macron a déclaré que la protection policière et militaire était renforcée dans 582 sites religieux et culturels à travers la France, face à la montée de l’antisémitisme et de l’islamophobie. Une marche civique contre l’antisémitisme est prévue à Paris et dans d'autres villes de France le 12 novembre.
Contacté par The Art Newspaper, le musée du Louvre a déclaré qu’il ne ferait aucun commentaire sur la situation internationale. « La sécurité des visiteurs et des collections nationales est notre priorité absolue. Le passage en “ alerte urgence attentat “ décidé par la Première ministre a naturellement entraîné une vigilance accrue, notamment en ce qui concerne les contrôles d’accès des visiteurs », a précisé une porte-parole.
Aux États-Unis, le dilemme des musées s’est intensifié. Le musée Frick de Pittsburgh a reporté une exposition d’art islamique, invoquant des préoccupations liées à la guerre en cours à Gaza. Le musée a annoncé le report de l’exposition le 17 octobre, dix jours après l’attaque du Hamas contre Israël.
Plusieurs institutions juives ont pris position, du Museum of Jewish Heritage de New York au United States Holocaust Memorial Museum de Washington, qui ont tous deux condamné les attaques du Hamas. Ce dernier a déclaré dans un communiqué : « En conservant la mémoire de l’histoire de l’Holocauste, le musée incite les dirigeants et les individus du monde entier à réfléchir de manière critique à leur rôle dans la société et à lutter contre l’antisémitisme et d’autres formes de haine, à prévenir les génocides et à promouvoir la dignité humaine ».
Le musée national arabo-américain de Dearborn, dans le Michigan, a annoncé qu’« en réponse à la catastrophe humanitaire en cours à laquelle sont confrontés nos frères et sœurs palestiniens à Gaza », l’institution avait décidé d’annuler son gala annuel de collecte de fonds.
El Museo del Barrio, à New York, a publié une déclaration conciliante soutenant et défendant les droits de l’homme et la « résolution pacifique » de ce conflit, encourageant les visiteurs du musée à faire un don à une organisation caritative de confiance de leur choix. « En ces temps difficiles, nous continuons à accueillir des visiteurs et des artistes aux croyances et aux points de vue divers et différents », déclare le musée.