« Venus Unchained » : Juanita McNeely, Jean Arp, Louise Bourgeois, Francis Picabia, Pierre Klossowski
Un avortement clandestin consécutif à un cancer précoce, puis la perte de l’usage de ses jambes à mi-vie : ces expériences ont formé Juanita McNeely (1936-2023) – disparue récemment – comme quelqu’un traitant de choses pas forcément plaisantes (ses propres termes). Son grand polyptyque Is it real? Yes, it is! (1969) qui traite de son avortement comme un sujet épique, est une des œuvres phares de l’actuel accrochage des collections du Whitney Museum of American Art à New York.
Mais, c’est la « Vénus déchaînée » qu’a choisi de montrer la galerie Natalie Seroussi, en compagnie de quelques grands noms, pour le plaisir de comparer l’idéalisation de l’un (Arp) ou la mise en scène de l’autre (Klossowski), avec la puissance d’expression d’un désir sans limites.
Quatre grands tableaux, qui couvrent quatre décennies, sont autant d’autoportraits. Ils nous font découvrir une artiste pour laquelle la peinture est véritablement moyen de se recréer. Dans Red Velvet (1969), elle est cette créature nue renversée dardant une très longue langue bifide et qui prend littéralement possession de la toile.
Dans Freedom? (1975), l’étreinte amoureuse prend place au milieu d’un manège de chevaux de bois mais c’est un vrai cheval noir, sauvage et conquérant, qui traverse l’espace pictural et pointe vers l’allégorie. Dans Horse Head (1990), le sujet Juanita McNeely manipule un homme-marionnette qui s’apprête à enfiler une tête de cheval. Dans ce dernier tableau, l’espace de l’atelier bascule, les corps se projettent vers nous ; nouvelle manifestation d’une démarche franche et conquérante. Pour achever ce portrait total en quatre volets, Feet Moving (1988-1989) nous la montre abritée sous un large parapluie noir, derrière des barreaux tandis que des jambes de différents types (pieds nus, en chaussons de danse ou escarpins) lui font une ronde.
Du 14 octobre 2023 au 15 janvier 2024, Natalie Seroussi, 34, rue de Seine, 75006 Paris
Mamma Andersson : Adieu Maria Magdalena
Mamma Andersson reconnaît parmi ses sources d’inspiration Vilhelm Hammershøi et Giorgio De Chirico, mais aussi quantité de tableaux reproduits dans les livres dont elle s’entoure. Avec « Adieu Maria Magadalena », elle montre des intérieurs sans âme humaine, qui créent une dramaturgie par le cadrage, la présence de quelques objets signifiants et des effets de miroir. C’est dans l’emploi, mesuré, d’objets symboliques (mains en bois, masques) qu’on reconnaît la marque de la peinture métaphysique, tandis que le travail sur les motifs évoque plutôt le nabisme.
Quand les miroirs sont en paravent et renvoient des images de couloirs et de fenêtres, les perspectives sont à peu près infinies. Mais la peinture n’est pas pour elle qu’une question d’image, c’est aussi le lieu d’un riche travail sur lumière et matière. Nombre de tableaux ont été peints sur des toiles couvertes d’un apprêt noir, ce qui leur confère un éclat assourdi.
Dans Le Lièvre mort d’Ehrenstrahl, elle s’empare d’un tableau historique, un grand lièvre qui domine un paysage de rivière au soleil couchant. Vrai tableau dans le tableau, il est posé sur le sol, décalé sur la droite, à la jonction d’une cloison en bois naturel et d’un tapis persan dont les motifs rappellent La Desserte Rouge [d’Henri Matisse] et qui, d’où il est vu, semble ramené au plan de la toile. Il est rare de voir une citation s’intégrer aussi parfaitement à une œuvre picturale. Le tableau de David Klöcker Ehrenstrahl devient celui d’Andersson alors que leurs manières sont fort éloignées l’une de l’autre. Ce jeu de saute-frontière entre un paysage préromantique et un intérieur secret nous parle de la façon dont l’artiste vit avec et dans l’histoire.
Du 16 octobre au 18 novembre 2023, David Zwirner, 108 rue Vieille du Temple, 75003 Paris
Dias & Riedweg : Chez-soi et d’autres lieux de fiction. Partie 2 : Les Autres à la maison/La rue
Dans ce deuxième et dernier volet d’une exposition, le duo d’artistes Dias & Riedweg a conçu une riche galerie ou ligne d’images de petits formats : dessins, photographies, photos de presse noircies au graphite, films diffusés sur tablettes, poème visuel en plusieurs parties à partir de formules entendues au moment des confinements.
Courts films et photographies mêlent scènes insolites vues dans la rue et les témoignages de nature sociale sur les migrants, les manifestations, les émeutes, de manière à composer un panorama d’un moment de leur histoire traversé par les nouvelles du monde. On y pratique aussi bien le choc entre deux réalités éloignées, les mains des deux papes sur fond de vaisselle McDonald’s, que le rapprochement « warburgien » de ces mains avec d’autres, prises chez Dürer.
C’est un témoignage personnel du double sujet Dias & Riedweg face à des situations propres à susciter l’étonnement, la stupeur ou la colère.
La double vidéo Em Casa (À la maison) montre à gauche l’image de Riedweg et à droite celle de Dias accomplissant des activités quotidiennes ou, pour mieux dire, des actions de désœuvrement dans leur maison, avec autant de doubles d’eux-mêmes qu’il y a d’actions. À la fin (si fin il y a dans une projection en boucle), tous s’attablent et, équipés chacun de leur masque hygiénique, regardent vers nous. Un mauvais rêve éveillé dont on n’est pas sûr d’être sortis.
Du 14 octobre au 20 décembre 2023, Bendana-Pinel, 4, rue du Perche, 75003 Paris
Özgür Kar : ROT
Les installations-animations d’Özgür Kar se caractérisent généralement par leur caractère macabre. Elles empruntent aux « Danses des morts » médiévales, aux Vanités, font grincer les mâchoires des squelettes. Le choix du trait blanc sur fond noir qui augmente l’obscurité rappelle les premiers temps de l’image en mouvement.
L’exposition « ROT » est composée de deux projections à angle droit. D’un côté, sur trois grands écrans 4K mis à la verticale, on voit un grillage à simple torsion avec une large déchirure dans le bord inférieur droit. Des points blancs font un ballet incessant et l’on y reconnaît des mouches par le son émis et par le fait que ces points, en se posant sur un fil à ce moment, s’incarnent, c’est-à-dire que le point blanc sur fond noir devient mouche noire sur un fil blanc. La bande-son fait entendre par instants quelques notes de piano (une ambient music qui disparaît comme elle est venue). Comme lorsque l’art vidéo brillait de ses derniers feux, l’objet technique (ici les écrans plats) marque sa présence comme une sculpture.
L’autre projection montre un ballet de mouches en tout point comparable, mais qui se fait au-dessus d’un œuf dans un nid. La vie, la mort, grands sujets s’il en est. Pas à proprement parler un spectacle, plutôt une atmosphère dans laquelle il faut s’attarder un peu pour ressentir les effets de ce doux agacement.
Du 19 octobre au 18 novembre 2023, Édouard Montassut, 61, rue du Faubourg-Poissonnière, 75009 Paris