L’écho de l’art informel retentit cet automne à l’Institut de France où siégèrent, entre 1975 et 2014, sept peintres académiciens parmi les plus influents de leur temps. Pour leur rendre hommage, une sélection resserrée de 25 peintures, toutes issues de la collection de la Fondation Gandur pour l’art, qui compte aujourd’hui près de sept cents œuvres représentatives de l’art non figuratif après 1945, laissent poindre toute la vitalité d’une création née après la guerre. « Cet art, avec lequel j’ai grandi, est entré dans ma collection de manière instinctive. Une attirance personnelle et un souci certain de cohérence esthétique motivèrent mes choix », précise Jean Claude Gandur.
Privilégiant la forme au contenu et le geste à l’intention, ces peintres refusent toute construction préméditée au profit d’une grande spontanéité d’exécution. Cet abandon aux vertus du geste et aux propriétés physiques des matériaux s’est développé jusqu’en 1965 au cœur d’une Europe en reconstruction, avec la Ville Lumière comme centre fertile de création. La première salle, où sont exposées non seulement un tableau de Jean Bertholle, mais également des toiles de Zao Wou-ki et de Chu Teh-Chun, tous deux arrivés de Chine, est là pour le rappeler. Portées par une scénographie intimiste pensée comme un écrin précieux, ces œuvres irradient par leurs tons bruns et mordorés rappelant le génie des lieux.
Plus loin, cette aventure picturale d’une rare intensité se poursuit avec les œuvres du peintre espagnol Antoni Tàpies et du Français Olivier Debré, lesquelles célèbrent chacune à leur tour la valeur expressive de la matière : si le premier mêle, aux couleurs, du marbre pulvérisé formant une épaisseur dense et pierreuse, plissée et véritablement scarifiée, le second peint en larges aplats sourds, modelés à la spatule et au couteau, des signes-personnages à la verticalité affirmée.
En abordant respectivement l’œuvre d’Hans Hartung et de Georges Mathieu, les deux dernières sections s’avèrent davantage monographiques et témoignent d’une mémoire traumatique. Les toiles réalisées par Hartung au lendemain de la guerre de 1939-1945 portent ainsi l’empreinte directe des blessures qu’il reçut au combat : les grands traits noirs semblables à des griffures endiablées font part d’une expressivité qui se retrouve également dans ses œuvres des années 1960, réalisées cette fois-ci au moyen des techniques du grattage et des vaporisations. Huit tableaux et autant d’œuvres-clefs sont également présents pour appréhender l’art radical de Georges Mathieu : du magma matriciel de ses peintures pionnières émerge un vocabulaire de signes énigmatiques qui, en se structurant, trouve sa grammaire personnelle, toute en calligraphie et peinte directement au tube sur fonds unis. Rendant hommage aux grands peintres académiciens qui ont su faire rayonner la puissance expressive de l’art informel, « Éloge de l’abstraction », orchestrée par Bertrand Dumas, conservateur à la collection Gandur, s’énonce alors comme une exposition tout à la fois silencieuse et expressive, semblable à une respiration
-
« Éloge de l’abstraction. Les peintres de l’Académie des beaux-arts dans les collections de la Fondation Gandur pour l’Art », jusqu’au 26 novembre 2023, Académie des beaux-arts, Pavillon Comtesse de Caen, Institut de France, 23, quai de Conti, 75006 Paris.