Pour ceux qui ne connaissent pas Slavs and Tatars, comment définiriez-vous le collectif ?
Nous sommes un collectif artistique qui se consacre à une géographie très particulière et assez vaste, qui s’étend de l’ancien mur de Berlin à la Grande Muraille de Chine. Nous travaillons selon trois axes : la réalisation d’expositions, c’est-à-dire nos propres œuvres, les publications et les conférences. Au cours des quatre dernières années, nous avons commencé à nous institutionnaliser dans une certaine mesure, c’est-à-dire que nous avons ajouté au collectif une plateforme de commissariats et, parallèlement, nous avons lancé un Pickle Bar, dans la rue en bas de notre atelier, qui est une sorte de bar Aperitivo slave où nous invitons des artistes et organisons des conférences. Nous avons également lancé un programme de résidence et de mentorat pour les adolescents. Il s’agit donc d’une pratique très variée.
Comment est née la collaboration avec Asia NOW ?
L’idée est que l’exposition que nous organisons donne le ton de la foire, ce qui signifie que l’accent mis sur les textiles – le focus que nous avons choisi pour cette année – se répercutera, nous l’espérons, sur une certaine sélection de galeries et sur les artistes que ces enseignes ont choisi d’exposer.
L’histoire des arts décoratifs, en particulier des textiles, est très riche en Asie centrale. Mais, dans quels domaines se situent les évolutions les plus importantes dans la région aujourd’hui ?
Nous nous intéressons aux limites des idéologies et des systèmes de croyance qui n’ont jamais vraiment existé dans les centres traditionnels. C’est à la limite que les choses commencent à devenir syncrétiques, que les idéologies se mélangent à d’autres idéologies, que les religions se mélangent à d’autres religions, et l’Asie centrale en est un parfait exemple. C’est là que se situe en quelque sorte la limite orientale de l’islam et qu’il a incorporé des éléments de rituels issus des pratiques hindoues et bouddhistes. Je pense qu’il est important de recentrer et de redéfinir ce que nous considérons comme lointain et obscur, et l’Asie centrale est incroyablement diversifiée et dynamique, ce qui est très pertinent aujourd’hui.
En gardant cela à l’esprit, comment avez-vous organisé l’exposition pour Asia NOW ?
Nous avons conçu une exposition pour l’entrée principale de la foire. L’année dernière, était exposée la céramique japonaise et, cette année, c’est l’Asie centrale et les textiles.
Nous exposons environ 14 artistes contemporains originaires de la région, issus non seulement des anciens États soviétiques, mais aussi de l’Afghanistan, et nous nous concentrons sur leur utilisation des textiles.
Ce qui est formidable avec les textiles, c’est que ce sont à la fois des choses que l’on peut porter, sur lesquelles on peut marcher, sur ou sous lesquelles on peut s’allonger, que l’on peut regarder sur un mur. L’artisanat sus-cite aujourd’hui un intérêt croissant dans le champ de l’art, mais je pense qu’il touche à bien d’autres choses encore.
L’Ouzbékistan et l’art qui y est produit retiennent aujourd’hui l’attention. Cette région a longtemps été votre centre d’intérêt. Comment réagissez-vous à l’intérêt que porte la communauté internationale sur elle aujourd’hui ?
L’Ouzbékistan s’est ouvert, un nouveau président [Shavkat Mirziyoyev] a remplacé Karimov et il s’est engagé dans une démarche de soft power assez forte, assez similaire, mais à une échelle beaucoup plus réduite, à ce que nous voyons avec l’Arabie saoudite. L’art contemporain est essentiellement considéré comme un moyen de repositionner l’image de la nation. De même, les gens considéraient l’Ouzbékistan comme une nation fermée, alors que le pays est en train de passer à une société plus ouverte.
Il y a des artistes très intéressants, l’exposition présente quelques artistes ouzbeks. Mais la scène artistique la plus active de facto se trouve essentiellement à Almaty, qui est la capitale historique mais pas la capitale officielle du Kazakhstan, et sa scène est très dynamique. Il est également important d’être soutenu par des fonds fédéraux, ce qui est enfin le cas.
Pourquoi pensez-vous que l’accent mis sur l’Asie centrale porte ses fruits maintenant, à ce moment précis ?
Je pense qu’il se passe quelque chose de très intéressant, une convergence entre Paris, la France, la Chine et l’Asie. Les secteurs du luxe sont largement influencés par la montée du consumérisme en Asie et en Chine. En Europe, il y a 20 ans, les choses se passaient entre Londres, Milan et Paris, mais aujourd’hui, c’est vraiment la relation entre la Chine et Paris qui est en jeu, sans aucun concurrent. L’Asie centrale est de plus en plus considérée comme pertinente pour le public chinois. La Chine considère l’Asie centrale comme une région adjacente, c’est l’Ouest ; pour vous ici, c’est peut-être l’Est de l’Ouest, mais pour la Chine, c’est la bordure occidentale.
Je pense qu’il est important que les collectionneurs se tournent vers la région parce qu’aujourd’hui les structures institutionnelles ne suffisent plus, il faut aussi avoir une présence sur le marché.