Pour quelles raisons avez-vous ouvert une galerie à Bruxelles plutôt qu’à Londres ou à Berlin ?
Nathalie Obadia : C’est un choix à la fois stratégique et amical, car j’avais déjà une bonne connaissance de la scène belge à la suite de mes fréquentes participations à la Foire Art Brussels. Je voulais aussi me rapprocher des collectionneurs belges que je voyais à Londres, à Berlin, à New York, à Bâle bien entendu, mais, à Paris, assez peu à la Fiac [Foire internationale d’art contemporain] et pas du tout à Art Paris. C’était également l’époque où un grand nombre de collectionneurs français avaient élu domicile en Belgique, notamment pour des raisons fiscales. Les choses ont un peu changé depuis. Bruxelles a donc été en réalité mon deuxième espace [avant celui de la rue du Bourg-Tibourg dans le 4e arrondissement de Paris] quelque peu détaché de la France. Il m’a permis d’y faire la rencontre de plusieurs collectionneurs que je ne voyais pas avant.
Michel Rein : Bruxelles est une ville à taille humaine, tout en étant la capitale de l’Europe – l’idée européenne est importante pour moi. Les loyers sont encore raisonnables dans certains quartiers et donc accessibles aux artistes. Qui plus est, les collectionneurs y sont nombreux. Ce n’est pas du tout le cas à Berlin par exemple. Bruxelles est au cœur du continent, sur un territoire qui a largement participé à l’histoire de l’art de la deuxième partie du XXe siècle. Le réseau de trains à grande vitesse aux quatre points cardinaux est un atout extraordinaire. Je n’ai jamais envisagé Berlin, moins encore Londres, où la situation me paraissait cumuler les inconvénients, le Brexit a achevé le malade.
Daniel Templon : Je connais la Belgique depuis très longtemps. C’est le premier pays où je suis allé, pour des raisons de proximité, de culture, de langue, du moins pour la partie francophone. On pourrait d’ailleurs se demander pourquoi il existe encore des frontières entre certains pays. En fait, nous sommes chez des amis. Y établir une galerie m’a permis avant tout de montrer des artistes qui n’y étaient pas représentés. J’en suis totalement enchanté, tant au niveau des contacts avec les collectionneurs et la réception des artistes qu’à celui de la commercialisation des œuvres. Je n’aurais pas dit la même chose de Londres ou de Berlin.
Quels points positifs retenez-vous de cette expérience ?
N.O. : Après quinze années, le bilan est tout à fait positif pour moi, et cette installation est des plus bénéfiques pour la galerie. C’est différent de Paris sans en être loin. Les horaires favorables des Thalys me permettent de passer une journée entière à Bruxelles, de la même manière que peuvent le faire les collectionneurs belges venant à Paris. Cela aide aussi à entretenir ces liens. Le fait de représenter deux artistes belges, Sophie Kuijken et Joris Van de Moortel, a également contribué à jeter des ponts entre ces collectionneurs et la galerie. Nous représentons en outre Laure Prouvost, laquelle, après Londres et Anvers, est désormais établie à Bruxelles où elle est vraiment bien arrimée à cette scène effervescente. Cela constitue un autre élément favorable pour nous.
M.R. : La fierté d’avoir créé une galerie qui peut fêter ses 10 ans aujourd’hui. De nombreuses enseignes françaises ont ouvert à Bruxelles, beaucoup ont rapidement fermé. Je me souviens notamment de l’ouverture éphémère de galeries françaises sur le canal à la fin des années 1990. Pour ma part, je ne souhaitais pas simplement installer une antenne à Bruxelles, je voulais qu’elle s’inscrive dans la scène artistique belge, que ce soit une galerie belge en somme. C’est la relation avec Patrick Vanbellinghen, son directeur, qui a été déterminante. J’avais le projet en tête, mais je suis passé à l’acte lorsque j’ai appris par des amis belges que Patrick était libre pour tenter une nouvelle aventure. Il a parfaitement suivi la feuille de route que je lui avais donnée. Autre point positif, l’opportunité de rencontrer au quotidien des artistes belges, dont certains nous ont rejoints : Sophie Whettnall, Sébastien Bonin et Ariane Loze. D’autres suivront. Nous avons noué des relations fortes avec de nombreux collectionneurs dans toute la Belgique. Ces rencontres n’auraient jamais pu se faire sans notre implantation à Bruxelles. Je crois encore beaucoup aux vertus de la galerie comme lieu d’échanges et de rencontres. Sans la fidélité des collectionneurs, nous n’aurions jamais fêté cet anniversaire.
D.T. : Nous connaissions un grand nombre de collectionneurs belges, que nous retrouvions à Art Brussels, évidemment, mais aussi à Paris (pendant la Fiac), à Genève ou à Bâle. Notre arrivée à Bruxelles nous a permis d’en côtoyer bien d’autres avec lesquels les relations sont excellentes, parfois même amicales. Le rapport avec eux est facile, ils ont une vraie curiosité, un goût de la découverte plus prononcé qu’ailleurs. Je pense que nous avons réussi à instaurer avec eux un réel dialogue.
Cette implantation bruxelloise vous a-t-elle permis d’établir des rapports plus étroits que vous en aviez auparavant avec les institutions ?
N.O. : Nous avons créé plusieurs liens avec les institutions. Par exemple, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ont programmé Andres Serrano [en 2016 à Bruxelles], le MuHKA a consacré une vaste rétrospective à Laure Prouvost [en 2019 à Anvers], le musée d’Ixelles a exposé Agnès Varda [en 2016 à Bruxelles] et, au printemps 2024, le musée de la Photographie, à Charleroi, accueillera Laura Henno.
M.R. : L’accueil de notre programme par les institutions belges a été magnifique. Les expositions monographiques ont été nombreuses et décisives pour les artistes : La Toya Ruby Frazier puis Anne-Marie Schneider au MAC’s [en 2017 puis 2018 au Grand-Hornu], Ariane Loze au S.M.A.K. [en 2019 à Gand], Sophie Whettnall à Centrale [en 2019 à Bruxelles], Dora Garcia au MuHKA, où la rétrospective de son œuvre performative s’est close en mai 2023. J’en oublie certainement. Les acquisitions d’œuvres ont été tout aussi importantes : celles d’Ariane Loze et de Sophie Whettnall par Kanal – Centre Pompidou [à Bruxelles]; d’Allan Sekula, Raphaël Zarka et Maria Thereza Alves par BPS22 (à Charleroi); d’Anne-Marie Schneider par le MAC’s; de Sébastien Bonin par le musée d’Ixelles. C’est dire la qualité de l’accueil que nous avons reçu des institutions belges !
D.T. : Mon seul regret est de ne pas avoir encore réussi à convaincre suffisamment les musées belges de montrer les artistes que nous représentons. Il y a eu bien entendu l’exposition de Gérard Garouste au BAM [Beaux-Arts Mons en 2016] ou celles d’Omar Ba et de Prune Nourry aux Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique [en 2022 et 2023] à l’instigation de leur directeur, Michel Draguet, avec lequel j’entretenais des relations cordiales et dont je regrette le départ. Sans oublier, début octobre 2023, la grande rétrospective de Jan Van Imschoot au S.M.A.K. Il est là chez lui, mais nous l’accompagnons bien sûr ! Malgré tout, les retombées sont plus que positives. Mon but est de découvrir des artistes auxquels je crois et de les faire connaître sur la scène internationale, dont la Belgique est une actrice importante à mes yeux.
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Galerie Nathalie Obadia, rue Charles-Decoster 8, 1050 Ixelles, Bruxelles.
Michel Rein, rue Washington 51A, 1050 Bruxelles.
Templon, rue Veydt 13A, 1060 Bruxelles.