La notion de plaisir est au cœur de l’exercice auquel se sont livrés les conservateurs du Louvre et l’équipe qui entoure Sylvain Bellenger, le directeur du Museo e Real Bosco di Capodimonte, à Naples. Baldassare Castiglione (1514-1515) de Raphaël converse avec de nouveaux amis, dont Galeazzo Sanvitale (1524) du Parmigianino. Dans la Grande Galerie du Louvre, durant un peu plus de six mois, sont en effet présentés trente-trois chefs-d’œuvre du Museo di Capodimonte, suspendus par des tringles rouges et accompagnés de cartels de même couleur. Là, le Portrait de Clément VII sans barbe (1526) de Sebastiano del Piombo donne envie de regarder autrement le Portrait de l’artiste avec un ami (1520) de Raphaël. Aussi La Flagellation du Christ (1607) de Caravage, Judith décapitant Holopherne (1612-1613) d’Artemisia Gentileschi, Caïn et Abel (1612-1614) de Lionello Spada y distillent un parfum sulfureux !
Dans la salle de la Chapelle, le Portrait du pape Paul III Farnèse avec ses neveux (vers 1545) par Titien, la cassette Farnèse (Cofanetto Farnese, 1548-1561) ou La Chute des Géants (1787-1790), le biscuit de Filippo Tagliolini, rappellent pour ceux qui en douteraient la richesse des collections du musée napolitain où sont conservées 49 000 œuvres. Dans la salle de l’Horloge, quelques œuvres insignes graphiques suggèrent ici encore combien les collections répondent à celles du Louvre. Mais le clou de ce spectacle, qui ne se réduit pas à une simple accumulation de chefs-d’œuvre, n’est pas là.
Les moments de réflexion sur les temps forts d’une collection de peinture sont rares. Depuis les grands aménagements du Louvre, il n’est pas certain que le public le plus pointu ait eu une telle opportunité de se pencher sur le sujet. Accueillir trente-trois tableaux dans la Grande Galerie est l’occasion rêvée pour dresser la liste des artistes qu’il manque au Louvre. Masaccio est le premier d’entre eux. Le prêt de la Crucifixion le souligne cruellement et, paradoxalement, il relève presque de l’impossible de découvrir une œuvre aussi importante ou un Giovanni Bellini aussi majeur que La Transfiguration (vers 1485) de Capodimonte ! Seule solution : explorer les cuisines de Senlis et Compiègne où le Cabinet Turquin identifie des Cimabue perdus… Il en est de même pour le Parmigianino, dont il faudrait un jour acquérir une œuvre d’envergure.
DE QUOI LE LOUVRE AURAIT-IL BESOIN ?
Sébastien Allard, directeur du département des peintures au Louvre, reconnaît également les limites des collections du musée dans le domaine « du foyer napolitain du Seicento ». La présentation de Silène ivre (1626), d’Apollon et Marsyas (1637) de José de Ribera, d’Apollon et Marsyas (vers 1660) de Luca Giordano, des deux grandes natures mortes de Giuseppe Recco, ou encore de Sainte Agathe (vers 1640) de Francesco Guarino, et des Saint Sébastien (vers 1657) et Saint Nicolas de Bari (vers 1653) de Mattia Pretti (exposés tous trois dans la salle Rosa) est particulièrement stimulante. Elle met en lumière « une anomalie » : faut-il présenter Ribera parmi les écoles espagnole ou italienne ? Le Pied-Bot (1642), peint à Naples et conservé au Louvre, devrait-il rejoindre la Grande Galerie ? Sébastien Allard porte un regard critique à l’égard de nos propres choix, inspirés par une longue tradition qui remonte au XVIIe siècle, et ce parti pris ne nous a pas incités à penser l’histoire de l’art italien du XVIIe siècle d’une façon trop franco-française… La richesse de nos collections bolonaises et romaines nous aurait ainsi joué des tours !
Le choix judicieux de Sébastien Allard de montrer le Polyptyque de saint Vincent Ferrier (vers 1464-1470) de Giovanni Bellini ainsi que le Saint Jérôme dans son cabinet de travail (1444-1450) de Niccolò Antonio Colantonio est purement « stratégique » – c’est notre mot, puisque le directeur des peintures, à l’écoute des chercheurs, souhaite ici « relancer le débat sur la proximité stylistique de cet artiste avec ceux gravitant autour du roi René d’Anjou, comme Barthélemy d’Eyck », dont l’œuvre la plus importante appartient à l’église de la Madeleine d’Aix-en-Provence, en travaux depuis des lustres, mais qui a à cœur de permettre sa présentation physique.
UNE AMITIÉ FRANCO-ITALIENNE EN DÉLICATESSE…
Hippomène sème ses pommes d’or dans la Grande Galerie du Louvre ! Marc Fumaroli, lequel a consacré à la composition de Guido Reni (à la version de Madrid plus spécifiquement) un texte majeur intitulé « Une peinture de méditation. À propos de l’Hippomène et Atalante du Guide *1 » , en aurait rêvé ! Le Louvre l’a fait ! Instinctivement et presque naturellement, l’œuvre résonne avec ses semblables des collections nationales françaises pour prouver combien la peinture du XVIIe siècle est européenne. Dans ce domaine au moins, les frontières nationales relèvent de l’absurde.
L’avenir de Capodimonte est justement particulièrement incertain en raison même de la nationalité de son directeur. Quelques jours après le vernissage par les deux présidents de la République qui ont célébré l’amitié franco-italienne, l’on apprenait que Sylvain Bellenger, le directeur général du Museo e Real Bosco di Capodimonte depuis 2015, ne pourra prétendre à un troisième mandat du fait d’un « principe de rotation » tiré du chapeau pour éloigner les directeurs étrangers…
Ceci vise également les directeurs de la Pinacoteca di Brera, à Milan, et des Galleria degli Uffizi, à Florence, mais le sujet est moins inquiétant. Le 1er juillet 2023, Sylvain Bellenger lance les grands travaux structurels de Capodimonte, notamment l’installation de panneaux photovoltaïques sur les toits voués à produire 91 % des dépenses électriques du musée, l’installation systématique de l’air conditionné, la modification complète des systèmes d’éclairage, etc. Or, le changement de direction est périlleux en de pareilles circonstances. Le lendemain de l’annonce, 500 000 euros de promesses de don destinés à l’aménagement des salles de porcelaine par trois personnalités internationales ont été suspendus. On tremble lorsque l’on sait que le récent acte de donation de la collection Lia Rumma – la plus grande collection dédiée à l’arte povera – est accompagné d’une clause d’annulation en cas de non-présentation au public avant la fin de l’année 2025. Les temps sont durs et comptés.
Le Louvre accueille en parallèle, jusqu’au 6 novembre 2023, une autre collection, celle des icônes du musée national des Arts Bohdan et Varvara Khanenko, à Kyiv, dans le cadre d’une exposition intitulé « Aux origines de l’image sacrée ».
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*1 Dans Michel Laclotte (dir.), « Il se rendit en Italie, études offertes à André Chastel », Paris, Flammarion, Rome, Edizioni dell’ Elefante, 1987, p. 337–358.
« Naples à Paris. Le Louvre invite le musée de Capodimonte », 7 juin 2023-8 janvier 2024, musée du Louvre, 75001 Paris.