Lisa Yuskavage : Rendez-Vous
Pour sa première grande exposition parisienne, Lisa Yuskavage choisit d’explorer le tableau d’atelier et de résumer une trentaine d’années de son art. Atelier rouge, vert, ou jaune… chacun de ces tableaux construit de subtils jeux d’espaces entre une scène représentée et des œuvres plus anciennes figurant dans l’atelier. Ces tableaux dans le tableau (d’un autoportrait des débuts à une œuvre en cours) sont couverts du même filtre coloré ou, au contraire, font un trou dans la réalité figurée. L’artiste va même jusqu’à faire rejouer, derrière son chevalet, dans un même espace, un de ses tableaux anciens : un jeune peintre examinant de très près son modèle.
Des citations de Courbet, Matisse, ou de modèles classiques se glissent dans un univers directement inspiré des photos de charme du vieux Playboy : poitrines opulentes qui portent la marque du soutien-gorge, longues chaussettes rayées, chevelures romantiques, toute une fantasmatique masculine que Yuskavage adapte sans excès de scrupule féministe. Une touche de bande dessinée dans le traitement des visages confère un caractère de fantaisie poétique à ces compositions d’une rare franchise.
The Artist’s Studio qui nous fait d’abord face quand on arrive à ce « Rendez-vous » est une grande composition en vert avec, en son centre, une femme en nuisette, chatte à l’air, sein tombant sur la palette, dont les yeux de cartoon au lieu de nous fixer semblent regarder ailleurs avec une réelle ou feinte innocence. Peintre et modèle fusionnent en une déconcertante figure. Derrière elle, un grand tableau de montagne avec une austère paysanne et une Lolita à la pose suggestive, et encore une scène derrière le tableau, et des objets d’ateliers en un certain ordre assemblés… On n’en finirait pas d’énumérer les niveaux de sens et les symboles. Avec un art consommé de la couleur et de la lumière, Lisa Yuskavange interroge les fondements de son œuvre avec une ironie et une étrangeté peu communes.
Du 9 juin au 29 juillet, David Zwirner, 108 rue Vieille-du-Temple, 75003 Paris
Outtara Watts : Outtara in Paris
Depuis trente-cinq ans, Ouattara Watts est un peintre d’Afrique à New York. Il a pris à sa ville d’adoption une énergie et un sens de l’espace tout en restant attaché à un monde de figures et de symboles vivants plutôt qu’à la réalité urbaine. Peignant sur de grandes toiles, pas destinées à cela, généralement avec des couleurs fluides, il renoue avec l’esprit d’exploration et d’hybridation qui animait les peintres de l’École de New York quand ils étaient encore des myth makers.
L’Afrique est présente par des images de masques, de sculptures, de motifs répétés qu’on pourrait croire tracés au tampon. Watts définit ses œuvres comme des cosmos, cite les musiciens de free-jazz ou de la Soul, qui l’inspirent. Il emprunte un trait d’écriture à Miró, fait danser la colonne sans fin qui, sous son pinceau, n’est plus seulement un axe reliant la terre au ciel, mais un pont entre les continents.
Une toile de bâche grise, sans oublier son origine roturière, peut définir un espace ouvert où planètes que relient une coulée de peinture ou un trait, schémas de pensée, figures mathématiques, et ballons de plage ou cerfs-volants se trouvent sur un pied d’égalité. Chez Watts, le monde des idées, les inspirations ne sont jamais coupées de ce qui est à portée de main. L’arobase ou l’alpha, les chiffres, parfois évocateurs de réalités douloureuses, connectent les esprits ancestraux et ceux des amis ou des héros de l’art. Qu’importe que la plus grande partie de ces échanges interstellaires soit au-dessus de notre compréhension puisque le peintre nous en donne un aperçu et nous permet d’en goûter la saveur.
Du 9 juin au 29 juillet 2023, Almine Rech, 64 rue de Turenne, 75003 Paris
Duncan Hannah (1952-2022)
La légende de Duncan Hannah, ami de tout ce qui a compté dans le punk et la new wave, acteur dans deux films mythiques de l’underground new-yorkais, est en décalage avec le peintre qu’il fut : réaliste, narratif, tourné vers le monde d’hier ou d’avant-hier, et le vieux continent. Hannah vouait un culte au cinéma d’auteur des années 1950 et 1960, celui d’Hitchcock ou celui d’Antonioni, par exemple. Ses tableaux de petits ou de moyens formats semblent inspirés de photogrammes ou de photos de plateaux.
Quand on y voit une voiture, une façade d’immeuble ou d’un jardin, on pressent qu’une intrigue est en train de se nouer ou a déjà eu lieu. À côté de cela, apparaissent des portraits d’actrices, stars ou demi-stars, dans le style des photos promotionnelles qui sont notre bien à tous. Il arrive qu’une de ces actrices soit le fruit de l’imagination, une synthèse tout aussi réelle.
Hannah a également peint des dizaines de couvertures de Penguin Books (dans l’ancienne maquette à triple bandes), avec toutes leurs marques et leurs craquelures, substituant parfois le rose à l’orange d’origine. L’artiste ressemble alors un peu à un Morandi qui ferait partager les livres qu’il a lus ou ceux auxquels il a rêvé.
Figure aussi dans l’exposition un portrait d’Anouk Aimée dans le rôle de Jeanne Hébuterne, très légèrement « modiglianesque », exemple parfait de la façon dont à travers la peinture Hannah pouvait glisser de la réalité à la fiction ou à la légende, et antidater sa vie. La galerie Pixi, un de ses points d’attache, fait avec ses vitrines un parfait écrin à ses œuvres.
Du 3 juin au 7 octobre 2023, Galerie Pixi - Marie Victoire Poliakoff, 95 rue de Seine, 75006 Paris
Marie Losier : Excesso Chamalo
Marie Losier est une artiste de la Bolex, cette mythique caméra 16 mm avec laquelle elle est entrée en cinéma. Ses expositions ressemblent à un petit musée du cinéma où, à côté de projections de films, elle expose des dessins-assemblages et céramiques fantastiques et drolatiques qui participent du même esprit. On y trouve de vraies-fausses machines de projections anciennes qui obligent à regarder à travers un œilleton de brèves séquences filmées et cela commence ici depuis la vitrine.
Le film qui donne son titre à l’exposition, Chamallow Excess, est une fantaisie entre amis, la version très douce d’un cinéma de la transgression des années 1960-1970 (Les Kuchar, Jack Smith), source d’inspiration pour Marie Losier. Ici, c’est un roi qui se laisse dévorer sa perruque par de tendres créatures en combinaison de lurex brillant. On participe à la blague et à la fête, porté par le chant de celui qui pourrait s’appeler Arthur ou Louis.
Pour continuer à jouer, un escalier nous invite à plonger la tête dans une boîte de projection avec miroir pour y découvrir un très court film en boucle. C’est une femme nue au corps épanoui vue en plongée qui fait tourner avec son cou un lourd collier-chaîne. Le son est profond et résonnant. Dispositif de vision à l’ancienne, underground et boucle de la vidéo se retrouvent ensemble pour combler notre « scopophilie ».
Du 10 juin au 29 juillet 2023, Anne Barrault, 51 rue des Archives, 75003 Paris