Les résultats de Phillips n’ont jamais été aussi élevés qu’en 2022, avec un total de 1,3 milliard de dollars. Le marché de l’art est-il déconnecté de la situation mondiale actuelle ?
Il peut sembler en partie déconnecté. En 2022, nous avons observé chez Phillips que le marché de l’art avait conservé sa force et une grande résilience. Notre objectif est de garder le cap, avec une approche très ciblée. Nous l’avons vu dans nos « curated sales » avec des offres resserrées, des œuvres fraîches et bien estimées, qui ont donné de très bons résultats. Fin janvier 2023, nous avons eu nos ventes Éditions, qui fêtent leurs 10 ans : nous avons dépassé les estimations de 35 %. Mais l’échéance la plus importante reste les ventes de Londres de ce mois de mars.
Comment s’explique la hausse de 20 % des ventes privées en 2022, pour un total de 250 millions de dollars [235 millions d’euros] ?
Phillips a investi massivement dans ce domaine. Nous avons recruté les meilleurs spécialistes. En premier lieu, nous avons renforcé notre programme d’expositions-ventes, à Londres, New York et bientôt Hong Kong, sans compter l’ouverture d’un espace à Los Angeles en 2022, et nos expositions à Paris également. Il s’agit souvent d’accrochages de qualité muséale, salués par les médias. Nous avons ainsi organisé une exposition consacrée à Pierre Soulages, à Londres, en février 2023.
C’est aussi un processus plus secret…
Je ne dirais pas « secret » mais «privé»… En effet, nous vérifions très attentivement chaque transaction, il n’est donc pas possible d’opérer de façon secrète. Les ventes privées bénéficient de nombreux avantages aux yeux des clients : ils peuvent contrôler le timing mais aussi le prix mieux qu’aux enchères, qui sont soumises au jeu des estimations et au calendrier des ventes.
En 2022, Phillips a compté 47 % de nouveaux acheteurs, un chiffre très supérieur à ceux de Christie’s et de Sotheby’s. Votre spécialisation attire plus que dans une maison généraliste ?
Nous occupons un segment très précis du marché, avec six ou sept catégories : art du xxe siècle et contemporain, éditions, design, photographie et montres-joaillerie. Cette arrivée de nouveaux clients récompense notre stratégie. Une autre explication est que nous avons cimenté notre réputation : nous sommes la maison de ventes pour l’art contemporain, nous avons établi de nouveaux marchés et suivons de près les futures tendances… Rien qu’en 2022, nous avons introduit 148 artistes sur le second marché ! Un autre secteur qui alimente énormément notre maison en nouveaux enchérisseurs est celui des montres, que ce soit dans nos ventes de Genève, Hong Kong ou New York. À cela s’ajoute l’explosion inédite d’acheteurs dans toute l’Asie.
Le volume des ventes d’art moderne a aussi connu une hausse en 2022 chez Phillips…
Nous avons vraiment développé ce secteur, y compris grâce à l’arrivée chez nous [en 2019] de Jamie Niven après une longue carrière chez Sotheby’s. Nous avons par exemple vendu Le Père de Marc Chagall pour 7,4 millions de dollars [près de 7 millions d’euros] en novembre 2022, une œuvre restituée par le gouvernement français. Mais nos plus gros succès se trouvent dans les maîtres d’après-guerre avec, en 2022, une peinture de Jean-Michel Basquiat vendue par Yusaku Maezawa pour 85 millions de dollars [près de 80 millions d’euros] puis un Cy Twombly monumental pour 42 millions de dollars [près de 40 millions d’euros]. Si vous arrivez à trouver les œuvres « A+ » par les meilleurs artistes blue chip [de premier plan], le marché répond de façon très forte, avec une grande confiance.
Phillips a inauguré en mars un nouveau quartier général pour l’Asie à Hong Kong. Cette ville reste-t-elle incontournable ?
L’Asie est l’un de nos axes majeurs de développement. Nous avons enregistré une croissance très significative des ventes dans la région. Nous passons à une autre étape avec l’ouverture de ce bâtiment dans le West Kowloon Cultural District [quartier récemment construit pour la culture]. Il a été dessiné par l’agence Herzog & de Meuron, architectes du M+, musée qui lui fait face. Situé tout près du Palace Museum, il couvre une surface de 4 830 m2 répartis sur six niveaux. Nous sommes la première maison de ventes internationale à disposer sur place d’un immeuble conçu pour nos activités, avec des salles de ventes, d’exposition, un café, etc.
En 2022, 34 % des acheteurs chez Phillips étaient asiatiques.
Ces acheteurs sont en grande partie des millenials. Le business, particulièrement en Chine, ne s’est jamais vraiment arrêté, même pendant la pandémie : en 2022, 70 % de nos ventes en Asie provenaient de la « Greater China », soit Hong Kong, la Chine continentale, Taïwan et Macao. Ce phénomène devrait s’accentuer avec la levée des interdictions de voyager permettant aux Chinois d’aller voir les œuvres dans la région… En parallèle, nous avons constaté que les acheteurs asiatiques avaient davantage confiance pour faire une acquisition en ligne, en particulier chez les millenials.
Pourquoi avoir récemment fait venir à Paris la spécialiste Wenjia Zhang ?
Elle est fantastique, elle nous a rejoints en 2018 comme responsable régionale de l’Asie. Elle s’occupe désormais des ventes privées à Paris pour les clients asiatiques qui veulent acheter des œuvres sourcées en Europe. Son arrivée reflète aussi le renforcement de nos représentants asiatiques partout dans le monde.
Contrairement à Christie’s, Sotheby’s et Bonhams, Phillips n’organise pas de ventes aux enchères à Paris. Ce n’est pas au programme ?
En 2023, nous projetons d’agrandir notre espace d’exposition rue du Bac [dans le 7e arrondissement]. Mais nous continuons à nous concentrer sur les expositions-ventes et les expositions de lots qui sont proposées ailleurs aux enchères.