La question des bornes d’une œuvre passionne toujours les amateurs d’art. Le corpus de jeunesse, synonyme de la mise en place d’un vocabulaire qui pourra bien souvent être plus tard redéfini, pose aussi la question de la détermination de la première œuvre, en tout cas de celle qui est revendiquée comme telle par l’artiste. La dernière, elle, ne fait en revanche guère débat, puisqu’il s’agit de l’ultime réalisée par le créateur avant son décès. Elle vient ainsi parachever la carrière du plasticien. Elle peut être considérée comme l’aboutissement de sa démarche, révélatrice du point où l’a mené sa réflexion sur l’art, témoignant aussi parfois d’un certain affranchissement des préceptes qu’il a précédemment suivis.
Cette question de la dernière œuvre a été au centre d’expositions par le passé. En 2016, Fabrice Hergott et Odile Burluraux avaient proposé au musée d’Art moderne de Paris une manifestation au titre sans ambiguïté : « Deadline ». Elle présentait le travail ultime d’artistes qui avaient justement fait évoluer leurs pratiques, comme Gilles Aillaud ou Hans Hartung. Le parcours comprenait aussi des créateurs qui avaient perpétré jusqu’à la fin leur démarche, comme Absalon, Joan Mitchell ou Willem De Kooning, ou d’autres encore qui, se sachant malade, ont rendu compte, au moins métaphoriquement, de leur état, comme Chen Zhen ou Jörg Immendorff. L’exposition comprenait également des œuvres d’Hannah Villiger, Robert Mapplethorpe, Martin Kippenberger et James Lee Byars. Jean-Louis Prat, à l’époque directeur de la Fondation Maeght à Saint-Paul de Vence, s’était lui aussi penché en 1989 sur cette production particulière. Il s’était davantage concentré sur l’art moderne, avec des peintres tels que Beckmann, Bonnard, Gauguin, Giacometti, Magritte, Matisse, Miró, Monet, Picasso, Renoir ou Schwitters. Titre de l’exposition : « L’œuvre ultime : de Cézanne à Dubuffet ».
Ce sont justement les œuvres réalisées par cet artiste à la fin de la vie que la Fondation Dubuffet présente actuellement dans son siège parisien (jusqu’au 7 juillet 2023), une ancienne maison-atelier construite vers 1880 au fond d’une cour du 6e arrondissement. Les beaux espaces rénovés récemment par l’agence d’architecture A26 accueillent sur trois étages la série des Non-lieux, un ensemble exceptionnel de peintures dont son dernier tableau, Pulsions, peint le 1er décembre 1984, soit quelques mois seulement avant sa disparition, le 12 mai 1985. Jean Dubuffet n’abandonnera pas pour autant les crayons de couleur, comme en témoigne dans l’exposition sa toute dernière œuvre, le dessin sur papier à lettres Sans titre, du 17 avril 1985, dans lequel l’on peut voir une mystérieuse île ou une tête d’homme fermant les yeux. Un ultime souffle de la création.