Vous avez obtenu votre diplôme de l’Institut national du patrimoine en 2003. En vingt ans, en quoi les problématiques liées à la restauration du dessin ancien ont-elles évolué ?
Coralie Barbe : La conservation-restauration du dessin ancien a été extrêmement bien établie grâce aux musées dès les années 1970. Dans le domaine du livre et des archives, la théorie et la déontologie qui découlent des beaux-arts n’étaient pas une évidence, et là en revanche, nous avons assisté à un changement de prisme relativement marquant au cours des dernières années.
Qu’est-ce qu’incarne le Salon du dessin pour vous ?
Au-delà des deadlines en vue de la préparation du Salon, c’est un événement phare pour nous. Un moment de partage, d’échanges et surtout de rencontres. Que ce soit aussi bien en tant que restauratrice qu’en tant que chercheuse, il n’y a pas une édition qui n’ait enchéri considérablement mon approche. Pour ma spécialité, les carnets de dessins d’artistes, c’est peut-être aussi le seul moment où il est possible de les manipuler en dehors des salles de lecture des cabinets d’art graphique, avant que le processus de muséification démarre…
Les carnets de dessins d’artistes étaient justement votre sujet de candidature à l’Académie de France à Rome.
À partir de 2015, j’ai évalué l’état de conservation des 423 carnets et albums conservés au musée d’Orsay à Paris, dont j’avais d’ailleurs déjà restauré ceux de Paul Gauguin, Frédéric Bazille ou Pierre Bonnard par exemple. J’ai aussi commencé à travailler de façon systématique sur le fonds de 290 albums de la Fondation Custodia [à Paris], et plus ponctuellement à l’occasion de restaurations sur les carnets d’Édouard Vuillard conservés à la Bibliothèque de l’Institut de France, de Pablo Picasso au musée national Picasso-Paris, ou encore de Jacques-Émile Ruhlmann pour le musée des Arts décoratifs à Paris. Il manquait un outil de référence pour permettre aux historiens de l’art, restaurateurs et toute personne chargée de ce patrimoine qui utilisent leur œil nu comme unique instrument d’identification et de description des techniques. Cette base de données que je développe en collaboration avec la Fondation Custodia et l’Académie de France à Rome est une forme de répertoire qui devrait être accessible à tous. L’objectif final est de retracer la façon dont le carnet, dans sa forme, dans sa matérialité, a évolué d’une production artisanale à une dimension plus industrielle, à la charnière des XVIIIe siècle et XIXe siècle. En général, ce sont des objets peu connus, tardivement élevés au rang des beaux-arts. Ils sont rarement parvenus intacts jusqu’à nous, les feuilles les plus intéressantes ont souvent été extraites et vendues par les ayants droit ou héritiers des artistes. Ils livrent pourtant une multitude d’informations sur les pratiques et l’économie artistiques… Et surtout, ces carnets de dessin sont des témoignages essentiels du processus de création ou de construction de l’œuvre d’un artiste, d’où les séries d’entretiens que j’ai conduits lors de mon séjour à la Villa Médicis.