À bon timing, bon plan. Pour l’antiquaire de la place d’Espagne, à Rome, Alessandra di Castro, désormais membre de l’executive committee du Salon et qui présente cette année 33 micromosaïques de la fin du XVIiIe siècle, en grande majorité romaines, cette édition 2023 de la Tefaf (The European Fine Art Fair) s’annonce faste : « Le retour aux dates traditionnelles est en soi extrêmement positif. Il enchante les collectionneurs, très attachés à leurs habitudes. Ils seront d’autant plus ravis que nous sommes revenus au plan antérieur – les arts graphiques ne sont plus présentés au premier étage qui les isolait et marquait une cassure dans le parcours des visiteurs. Une multitude de détails ont été soigneusement pensés pour cette édition. Et les détails sont tout ! » La Tefaf permet à bien des égards de mesurer l’évolution du marché de l’art, et même les changements subtils du goût. Cette année, 268 marchands, dont 17 primo-entrants exposent. Les galeries installées à Paris sont au nombre de 65, talonnant encore un peu plus le groupe des marchands venus d’Angleterre qui seront 71. Les impétrants sélectionnés pour le Showcase seront désormais 10 et non plus 6, une façon de montrer que la Foire est extrêmement attentive au futur. Depuis sa création en 2008, le temps a souvent donné raison à la sélection des jeunes galeries «émergentes» présentées dans cette section, puisque les Français Lucas Ratton, Oscar Graf, et dernièrement Nicolas Bourriaud, y ont fait leurs débuts et sont depuis passés dans la section générale.
SENTIR LA TENDANCE
Chaque marchand a son propre baromètre pour sonder l’importance d’une édition. Un galeriste anglais, aussi discret que délicat, nous a récemment confié qu’il téléphonait systématiquement à quelques restaurants emblématiques de Maastricht pour savoir s’ils affichaient complet la veille au soir du vernissage. Si tel était le cas, alors il avait le cœur léger, et la première journée serait formidable. Un autre, véritable saint Thomas, ne s’estime tranquillisé que s’il a vendu deux objets au cours de la première heure du vernissage. Des instruments de mesure tels le nombre d’avions privés atterrissant à Liège le jeudi matin – le chiffre est constamment réactualisé dans la Press Room – ou le nombre de conservateurs américains ayant fait le déplacement sont tout aussi significatifs, mais en réalité, un bon cru de la Tefaf dépend des objets et seulement des objets, et si possible de leur caractère inédit et rare. Le galeriste Paul Smeets, « Chairman of Paintings » du Salon et également l’un des cinq membres de l’Excecutive Committee, s’astreint à ne jamais vendre plus de 20 ou 25 tableaux par an, dont 10 à la Tefaf. Cette année, il montre des œuvres qu’il a acquises bien en amont, certaines il y a déjà trois ou quatre ans, avant de juger que le moment était le plus opportun pour les présenter. « En dix ou quinze ans, les attentes des clients de la Tefaf ont considérablement changé. Les amateurs spécialisés dans un domaine ou une école ont peu à peu été remplacés par une clientèle plus jeune, plus éclectique. Je crois qu’il y a trois points nouveaux : ils collectionnent de l’archéologie à l’art contemporain ; ils souhaitent des œuvres qui leur parlent au premier coup d’œil, aux sujets moins orthodoxes ; et enfin ils ne désirent plus le chef d’œuvre d’un maître inconnu. Je regrette déjà d’avoir énoncé ce dernier point, car j’ai vendu au cours des éditions précédentes des œuvres, comme le Christ de [Louis] Cretey, extrêmement théâtrales, dont les artistes étaient quelque peu méconnus. » Cette année par exemple, le marchand italien dévoile non pas une sempiternelle Madone à l’Enfant de Sassoferrato, mais un grand Salvator Mundi, extrêmement troublant, un tableau du jeune Alsonso Cano, dont la provenance ancienne est documentée, mais qui avait totalement disparu ; ou encore l’un des plus beaux tableaux de Giovanni Lanfranco découvert par Jean-Baptiste-Pierre Le Brun au XVIIIe siècle.
LA PUISSANCE DES ARTS DÉCORATIFS
Habitués à être accueillis par le stand de la galerie Kugel, où cette année la pièce maîtresse est une commode française réalisée vers 1700 pour l’électeur de Bavière Maximilien-Emmanuel, les visiteurs sont attirés à Maastricht par des objets d’exception, mais surtout des historiques d’exception. Steinitz propose ainsi un coquillier, une pièce majeure exécutée d’après des dessins estampillés par Joseph et par Leleu, provenant des collections d’Ange-Laurent de Lalive de Jully puis des collections du maréchal de Choiseul-Stainville. Benjamin Steinitz parle déjà avec enthousiasme de la paire de carpes en porcelaine Arita du Japon montées très finement en bronze doré provenant des collections du duc de Tallard.
Ces pièces rarissimes ressemblent beaucoup à l’objet qui apparaît sur le portrait désormais iconique du baron de Besenval par Henri-Pierre Danloux (The National Gallery, Londres). Aussi, l’antiquaire dont la première participation l’année dernière n’avait pas manqué d’être remarquée expose deux commodes en laque rouge estampillées BVRB, provenant des collections des ducs de Doudeauville, photographiées vers 1920 dans l’hôtel de la rue de Varenne devenu depuis l’ambassade d’Italie. Peut-être que la Tefaf, c’est tout cela à la fois : des œuvres d’exception dont l’histoire nous transporte d’un siècle à l’autre, avec une part de mystère, mais beaucoup de points d’ancrage. Le temps d’une journée ou deux à Maastricht, le public se délecte de belles histoires. Pour sa deuxième participation à la Foire, Vanessa Wildenstein a choisi justement des œuvres qui lui permettent de s’inscrire dans une histoire longue. Extrêmement attentive à l’identité de la galerie familiale, la jeune femme se dit très émue de présenter une œuvre entrée dans le stock il y a plus d’un siècle : « Le Triomphe de Diane sur Vénus et Cupidon, pièce centrale de la tenture de l’histoire de Diane commandée dans les années 1550 par Henri II pour orner la grande galerie du château d’Anet de Diane de Poitiers a été acquise par la galerie en 1919! Huit des onze tapisseries de cet ensemble étaient encore récemment connues. Deux sont conservées au Metropolitan Museum of Art [à New York], une au musée des Antiquités de la Seine-Maritime, à Rouen, et deux ont été acquises en 2007 par le [musée national de la Renaissance] château d’Ecouen. Or, quatre pièces qui appartenaient aux propriétaires du château d’Anet ont tragiquement disparu lors de l’incendie de l’atelier de restauration Bobin à Boissy-Saint-Léger en 1997. Ce drame patrimonial nous rend d’autant plus humbles face à la fragilité des objets que nous exposons. »
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Tefaf Maastricht 2023, 11-19 mars 2023, MECC, Forum 100, 6229 Maastricht, Pays-Bas.