Il a pris ses fonctions en octobre 2022. Conservateur du Mamco à Genève pendant neuf ans et demi, le Bordelais Paul Bernard s’est enfoncé dès lors un peu plus en terre helvétique en prenant la direction du Centre d’art Pasquart de Bienne. La ville gagne à être connue. Elle a un passé ouvrier qui ressurgit sur sa culture et son architecture. Elle a aussi la particularité d’être à cheval entre la Suisse romande et la Suisse germanophone, ce qui la situe au cœur du pays, à équidistance de Genève, Lausanne, Bâle et Zurich. Un emplacement stratégique lorsqu’il s’agit d’envisager des collaborations artistiques avec les grandes institutions alémaniques.
Pour sa première exposition dans ce lieu qui regroupe un espace d’exposition d’art contemporain, un autre dédié à la photographie (avec une direction indépendante) et un cinéma, Paul Bernard a choisi de présenter l’œuvre de Francis Baudevin. L’artiste vaudois n’avait plus eu droit à une présentation monographique en institution depuis longtemps. Le revoici avec un accrochage très complet qui brosse une carrière de presque trente-cinq ans. Le parcours est entièrement dédié à une peinture minimale, géométrique et colorée, qui répond à un « statement » rigoureux que l’artiste s’applique à suivre depuis toujours : à savoir de reproduire sur une toile, ou un mur, en l’agrandissant, un motif trouvé sur une boîte de médicament, une pochette de disque, un emballage de café ou une enseigne de quincaillerie, mais en l’expurgeant du texte qui l’accompagne. Sachant ce principe, le visiteur joue donc à reconnaître les sources originelles de ces tableaux qui donnent souvent leur titre à l’œuvre (ABM, Néo-Codion, Incarom, FNAC…). Une manière aussi de remettre au musée ces objets graphiques à vocation commerciale que l’abstraction des avant-gardes a souvent inspirés.
Il arrive que l’artiste déroge à sa méthode d’appropriation stricte. Sa série de petits carrés noirs sur grands fonds blancs réveille bien sûr la peinture de Malevitch, mais aussi, et surtout, les cercles noirs d’Olivier Mosset, figure tutélaire de toute une génération d’artistes romands (Philippe Decrauzat, Stéphane Dafflon, Jean-Luc Manz), à qui ces toiles rendent hommage. Francis Baudevin peut également décliner un même motif, la répétition étant un principe rythmique de cette musique expérimentale dans laquelle il puise, souvent, son inspiration. Comme cet ensemble de quatre peintures en forme de croix aux élans suprématistes. Une variation, en fait, sur la pochette de l’album Motore Immobile du violoniste italien Giusto Pio.
La musique, justement. Elle est omniprésente dans cet accrochage qui ne suit aucune chronologie, mais prend plaisir à réunir les œuvres par affinités chromatiques (la salle orange, la salle verte), formelles ou référentielles. Photographies de pochettes, disques vinyles exposés dans des vitrines, mais aussi photomontages qui font se rencontrer un triangle bleu et une tranche de Generoso - cake industriel typiquement suisse - contribuent à faire entrer le visiteur dans l’univers du peintre et à en apprendre le vocabulaire.
C’est une manière de dire que cette abstraction pop, héritière de l’art concret zurichois des années 1950 et du constructivisme, se départit du fond cérébral et militant de ses modèles, sans pour autant sacrifier au sérieux de la pratique. Francis Baudevin est un peintre décomplexé et ludique, certes, mais doué d’une précision redoutable dans le choix des couleurs, le tracé du dessin et l’exécution de ces aplats où le geste n’est jamais visible. Au point que l’artiste, au sujet de ses œuvres, préfère parler d’objets peints, plutôt que de peintures. Des objets qui prennent parfois des apparences littérales. Les deux petites toiles bleues Pale Blue Eyes (inspirées d’un titre du Velvet Underground) associées au mini monochrome rouge Me and My Big Mouth (une chanson de la musicienne Odes) dessinent au mur une sorte de visage minimum de Pixel Art. Comme une réponse marrante à la toile de Barnett Newman Who’s Afraid of Red, Yellow and Blue ?
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« Francis Baudevin », jusqu’au 4 avril 2023, Centre d’art Pasquart, Faubourg du Lac 71, Bienne, Suisse.