Diplômé de l’ECAL (École cantonale d’art de Lausanne) en 1999, Philippe Decrauzat vit et travaille à Paris. Dans une monographie récente (Delay, König Books, 2021), Arnauld Pierre qualifie sa série On Cover d’« emblématique de la démarche de Decrauzat : elle vise des formes à fort impact visuel qui passent cependant par la médiation de la reproduction, source de distanciation; elles sont en outre spatialisées par les dispositifs d’exposition par lesquels Decrauzat les révèle […] ». « Faisant immanquablement penser aux productions les plus vibrantes de l’op art », sa pratique ne saurait néanmoins se résumer à un lointain héritage des pionniers réunis dans l’exposition séminale « The Responsive Eye » au Museum of Modern Art, à New York, en 1965.
Au jeu visuel s’ajoutent un rapport critique au modernisme, une recherche expérimentale sur la perception corporelle et une réflexion sur la reproduction – comment une image traverse l’espace et le temps. Son travail puise autant ses références chez Frank Stella, les concrets zurichois ou le néo-géo des années 1980, de John M. Armleder à Olivier Mosset, en Suisse, que dans le mouvement néo-concret en Amérique latine, la science, la musique ou le graphisme. « L’un des principaux enjeux de l’abstraction est de créer de la porosité. Comment un langage aussi récent peut-il être caduc ? Cette histoire n’est pas finie, il reste beaucoup à explorer sur la question du regard. Je joue dans ces univers-là », résume l’artiste.
Pour le prix Marcel Duchamp, Philippe Decrauzat propose deux espaces associant peinture et film. Dans un white cube, quatre shaped canvas (créant un bas-relief labyrinthique) donnent à voir un schéma visuel « avec un sens de développement de chaque proposition, une sorte de spirale qui s’étend ou, à l’inverse, se contracte, explique-t-il. C’est une figure qu’il faut penser en négatif, puisque les images se découpent sur le mur, le châssis sur lequel est montée la toile laissant des vides. Ce qui m’intéressait, c’était de montrer toujours la même peinture (en réalité, les noirs sont différents, avec de subtiles nuances), à la manière d’un film image par image, et que ces séquences soient prises dans un même mouvement. On regarde ces toiles tel un film, en boucle. Elles fonctionnent comme un ensemble. »
Peintures et film, dans la black box de la seconde salle, ont pareillement été pensés comme un tout. « Dans un musée, ils sont habituellement présentés dans des salles distinctes. J’ai essayé cette fois de les faire entrer l’un dans l’autre. » Replica (film 16 mm, 2019) est une boucle projetée sur un écran blanc bordé de deux pans de miroirs, projetant à leur tour un reflet « par un jeu de réverbération quasi kaléidoscopique ». Le film est réalisé à partir de photographies des marbrures de la réplique du Pavillon allemand pour l’Exposition internationale de 1929, conçu par l’architecte Ludwig Mies van der Rohe.
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« Prix Marcel Duchamp 2022. Les nommés », 5 octobre 2022 - 2 janvier 2023, Centre Pompidou, place Georges-Pompidou, 75004 Paris.