Sophie Taeuber-Arp. Les dernières années trouve son origine dans un ensemble de constatations faites par Cécile Bargues, spécialiste de Dada. Bien que célébrée de longue date dans le monde anglo-saxon, l’œuvre de Sophie Taeuber-Arp (1889-1943), peintre, sculptrice, artiste textile et danseuse, reste méconnue en France : une seule rétrospective d’ampleur lui a été consacrée, il y a plus de trente ans, par le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, et aucune monographie n’a encore jamais été éditée. Par ailleurs, la mise au jour de rares archives d’importance (correspondance, journal, etc.) a jeté un éclairage nouveau sur la vie d’une artiste, décrite à tort, après sa mort par intoxication au dioxyde de carbone, comme terne et discrète.
À ce sujet, Cécile Bargues dit avoir été fascinée, lors de la préparation de l’ouvrage, « par l’incompatibilité manifeste entre cette image étriquée et la réalité de son action artistique ». Aussi a-t-elle eu à cœur d’examiner la richesse du projet porté par cette femme enthousiaste, par-delà les hiérarchies traditionnelles de l’art et des arts décoratifs, par delà le dogmatisme pourtant florissant dans l’entre-deux-guerres, par-delà les nations.
ENGAGÉE EN ART COMME EN POLITIQUE
Installée en France au milieu des années 1920, Sophie Taeuber réunit, autour d’elle et de son mari Hans Arp, une constellation d’artistes issus des mouvements dadaïste, surréaliste et abstraits. Elle travaille beaucoup et expose à de nombreuses reprises, tout en s’attachant à promouvoir l’art concret dans ses multiples expressions. Ainsi traverse-t-elle seule l’Europe en 1932 pour découvrir l’avant-garde polonaise et admirer les collections remarquables du musée de Lodz avant d’entreprendre, en 1935, un voyage en Allemagne à la recherche d’œuvres propres à enrichir le Museum of Living Art, le premier musée américain dédié à l’art moderne. C’est guidée par le même esprit collégial et cosmopolite que Sophie Taeuber-Arp organise des expositions collectives et édite la revue Plastique (1937-1939), « porte-voix d’une création hors frontières, en opposition totale avec l’étroitesse et les apories de “l’art français” » défendu par les institutions d’alors. C’est encore, remarque l’auteure, sa conscience politique qui la mènera à accomplir des actes de résistance en aidant des enfants juifs à entrer en Suisse. Car, durant toute cette période, Sophie Taeuber-Arp fait preuve d’une grande lucidité. À l’égard du monde de l’art et de ses limites – notamment, en France, le rejet des abstractions par les musées –, mais surtout de l’Europe et de la catastrophe qui la menace. Dans une langue rythmée, Cécile Bargues parvient, à travers ses analyses, à livrer le portrait d’une artiste libre, à l’énergie vive et généreuse, tout en dressant une cartographie sensible de l’art abstrait sur le point de sombrer.
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Cécile Bargues, Sophie Taeuber-Arp. Les dernières années, Paris, Fage éditions et Institut Giacometti, 2022, 96 pages, 10 euros.