Réenchanter le Paris de Saint-Germain-des-Prés pendant une petite semaine en offrant au néophyte comme au collectionneur confirmé un florilège de pièces d’exception, tel est le pari des galeries d’arts « premiers » participant à cette 21e édition de Parcours des Mondes.
Crise sanitaire oblige, les temps, il est vrai, ont été moroses pour nombre d’enseignes qui ont dû imaginer de nouveaux stratagèmes pour ne pas perdre le contact avec leurs clients. Ainsi, lors du confinement, certains marchands n’ont pas hésité à proposer de véritables cours en ligne, tel Julien Flak initiant le néophyte aux arts africains, amérindiens et océaniens, ou Stéphane Jacob présentant un panorama d’artistes aborigènes.
En cet automne 2022, l’optimisme est cependant de mise avec le retour sur le sol français de grands marchands américains, parmi lesquels la galerie Pace African & Oceanic Art, ainsi que Michael Hamson Oceanic Art.
A contrario, force est de constater la désaffection des galeries d’art asiatique et d’archéologie classique, qui métamorphosaient habituellement Parcours des Mondes en un gigantesque cabinet de curiosités. Parmi les rares rescapés, Philippe Boudin expose dans sa galerie Mingei Japanese Arts la quintessence du raffinement nippon, dont un masque nô d’une pureté suprême et une hiératique statue en bois des VIIIe-IXe siècles représentant le bodhisattva Jizô Bosatsu.
En ces temps de crispation du marché des antiquités égyptiennes, alors que la mise en examen en juin 2020 d’un expert en archéologie méditerranéenne a créé un climat de suspicion délétère, la galerie Eberwein n’hésite pas, quant à elle, à présenter un saisissant masque de sarcophage du Nouvel Empire provenant d’une ancienne collection privée allemande. La galerie belge Harmakhis, dirigée par Jacques Billen, expose de son côté un magnifique chevet en bois de l’Ancien Empire, issu d’une très ancienne collection britannique.
UNE KYRIELLE D’EXPOSITIONS THÉMATIQUES
Si l’on peut regretter le petit nombre de galeries participantes(une quarantaine tout au plus),l’on aurait tort cependant de bouder son plaisir. Parmi les « pépites » que l’on s’empressera d’aller admirer, retenons, par exemple, une très rare flûte maorie nguru datée entre 1750 et 1800 présentée chez Entwistle, une pagaie cérémonielle de la province de Sandaun (Papouasie-Nouvelle-Guinée) repérée chez Voyageurs & Curieux, un crochet de suspension Iatmul passé entre les mains de Charles Ratton et exposé chez Michael Hamson, ou encore, chez le marchand suisse Patrick Fröhlich, un imposant masque Samana Dogon provenant de l’ancienne collection de Jacques Kerchache…
Loin d’être exclusivement dédié à la vente, Parcours des Mondes est également un formidable terrain de jeu pour découvrir des pièces rares ou inédites. En écho à la grande exposition que le musée du quai Branly–Jacques Chirac consacre aux massues du Pacifique *1, la galerie Meyer Oceanic & Eskimo Art présente ainsi un exceptionnel ensemble de casse-tête et armes d’Océanie.« Transcendant leur statut de pièces à caractère ethnographique, ces objets sont désormais regardés comme de véritables œuvres d’art, au même titre que des sculptures ou des masques, et le prix de certains d’entre eux peut atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros »,confie le directeur de la galerie, Anthony Meyer.
Outre sa sélection pointue de poupées kachinas des Indiens hopis d’Arizona, la galerie Flak aime, elle aussi, surprendre par des objets éminemment poétiques et relativement accessibles, tels que cette parka miniature inuite d’Alaska d’une finesse inouïe (son prix est fixé à 18 000 euros) ou cet éventail de prestige des îles Marquises (autour de 50 000 euros ).
LA PERCÉE DE L’ART CONTEMPORAIN
L’autre agréable surprise de cette édition 2022 vient de la présence renforcée de l’art contemporain au sein de Parcours. Loin d’être anecdotique, cette aimable intrusion permet au contraire de provoquer de stimulants face-à-face. Sous la houlette de la conseillère en art Alexandra Dubourg, du galeriste Bernard Dulon et du conservateur de l’Africa Museum à Tervuren (Belgique) Julien Volper, la galerie Gradiva propose ainsi une singulière rencontre entre les fétiches Minkisi Nkonde de la culture Kongo hérissés de clous et les œuvres sismiques et électriques du peintre américain d’origine haïtienne Jean-Michel Basquiat.
Baptisée « Résonance », l’exposition se veut davantage une expérience esthétique et émotionnelle qu’une confrontation d’ordre scientifique. « Que se passera-t-il lorsque des œuvres d’une telle puissance que des dessins de Jean-Michel Basquiat et des Minkisi, anonymes créations du monde Kongo, seront confrontées lors d’une même exposition ? Assisterons-nous à des transferts d’énergie esthétique et à des phénomènes de résonance ? Verrons-nous s’affirmer des positions d’équilibre ou des points de bascule vers d’insondables gouffres ? » s’interroge Bernard Dulon.
Vitrine de la scène contemporaine béninoise, la galerie Vallois du 35, rue de Seine rend de son côté hommage au designer et artiste contemporain togolais Kossi Aguessy prématurément disparu en 2017, le jour de ses 40 ans. Bousculant les a priori et chahutant les étiquettes, ce créateur protéiforme a laissé entre autres la Useless Tool Chair (2008) ou l’Infinity Armchair (2016). Les amateurs de Parcours des Mondes devraient succomber à ces hypnotiques Idoll en aluminium ou en bronze poli, à la fois « primitives » et « futuristes ». Enfin, pendant Parcours des Mondes, Charles-Wesley Hourdé et ses comparses entrebâillent un nouvel espace mixant arts premiers et art contemporain au 41, rue de Seine. Un dialogue de plus en plus présent…
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* 1 « Pouvoir et prestige. Art des massues du Pacifique », jusqu’au 25 septembre 2022.
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Parcours des Mondes 2022, 6-11 septembre 2022, Saint-Germain-des-Prés, quartier des Beaux-Arts, 75006 Paris.
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À savoir : le 8 septembre à 18h, table ronde à la Monnaie de Paris (11,quaideConti), en écho à l’exposition « Monnaies & Merveilles » ( à voir jusqu’au 25 septembre 2022).