Pourquoi avez-vous choisi d’accrocher ce dessin de Rinus Van de Velde dans votre bureau ?
Parce que ma compagne ne veut pas d’une image de maison qui brûle chez elle ! Blague à part, Rinus Van de Velde est un artiste très actif sur la scène d’Anvers et que je connais bien. Notre rencontre date de l’époque où je dirigeais l’Opéra des Flandres. J’y suis resté dix ans, avant de prendre la direction du Grand Théâtre de Genève en 2019. Pour autant, j’ai mis du temps avant de lui acheter une œuvre. Je connaissais ses grands fusains noir et blanc, mais les trouvais un peu pompeux et les textes qui les accompagnaient parfois trop faciles, trop évidents. Puis il s’est mis à faire des dessins aux crayons de couleur que j’ai tout de suite beaucoup aimés. Avec la couleur, son style photoréaliste devient incroyable. Le texte de ce dessin m’a particulièrement interpellé en cette période de pandémie. Il est écrit qu’il faut tout recommencer avec des idées nouvelles et créer des choses étranges et authentiques. Quelle meilleure place trouver à cette œuvre que dans ce bureau, où le besoin d’idées originales et neuves est une nécessité ! Et cette maison qui brûle ne résume-t-elle pas aussi la situation dans laquelle nous nous trouvons tous ?
Rinus Van de Velde explique que toute son œuvre est autobiographique... alors qu’en fait une large part est inventée. Un artiste qui vit dans une sorte de fiction permanente, cela résonne-t-il chez vous, qui dirigez une maison où se jouent aussi des histoires ?
Chez lui, rien n’est totalement inventé, il y a une part de réalité dans son travail. C’est un artiste assez introverti, qui préfère voyager dans sa tête plutôt que de partir très loin. Mais, davantage que ce rapport à la fiction, ce sont ses mises en scène qui m’intéressent. Il construit des décors avec des objets hyperréalistes fabriqués en carton. En qualité de directeur d’une institution lyrique, cette démarche théâtrale m’interpelle forcément. Même ce dessin de maison en flammes a quelque chose à voir avec le spectacle, il est presque monumental malgré son petit format. Quand j’étais encore en Belgique, j’envisageais d’ailleurs de collaborer avec Rinus sur un opéra. Malheureusement, cela ne s’est pas fait.
Comme à Anvers, chaque saison du Grand Théâtre de Genève, vous invitez un artiste contemporain à réaliser un décor pour une œuvre lyrique. Vous êtes le premier directeur de l’institution à faire ce lien. Pourquoi ?
Peut-être parce que Genève n’est pas considérée comme une ville d’art contemporain, contrairement à Bâle ou à Zurich, même si j’ai l’impression que la situation évolue. Le développement d’artgenève, dont le Grand Théâtre est partenaire, les changements de direction au Mamco, au Centre d’art contemporain Genève et au musée d’Art et d’Histoire, ainsi que tout ce qui se passe à Lausanne avec Plateforme10 : les choses bougent en ce domaine en Suisse romande. Je cultive ce lien entre l’art lyrique et l’art contemporain depuis dix ans. Il me semblait naturel de l’expérimenter ici aussi.
« Même ce dessin de maison en flammes a quelque chose à voir avec le spectacle, il est presque monumental malgré son petit format. »
Comment choisissez-vous les artistes avec qui vous allez travailler ?
Cela dépend. Dans le cas de Prune Nourry, qui fera le décor d’Atys de Jean-Baptiste Lully cette saison, c’est Angelin Preljocaj, le metteur en scène, qui me l’a proposée. Je ne connaissais pas bien son travail, mais j’ai tout de suite trouvé l’idée géniale. Tous les artistes ne se prêtent pas à cet exercice. Par exemple, le Bayerische Staatsoper, à Munich, a demandé à Georg Baselitz de monter le décor de Parsifal en 2018. Personnellement, je pense que c’était raté. Baselitz est un peintre pur et dur, dont l’univers s’adapte mal à l’espace du théâtre. Ce n’est pas le cas de Marina Abramovic, avec laquelle nous avons collaboré sur Pelléas et Mélisande. Ni d’Adel Abdessemed, qui fait de la peinture, de la vidéo, des performances, de la sculpture et des installations. Nous devions travailler avec lui sur le Saint François d’Assise d’Olivier Messiaen en 2020, mais l’épidémie a tout bouleversé.
Lorsque vous arrivez dans une ville pour y travailler, vous intéressez-vous aussitôt à la scène artistique locale ?
Oui, pour étudier les possibilités de synergie. À Genève, jusqu’à présent, je n’ai pas eu l’occasion de collaborer avec des peintres. Il y a eu un papier peint de John Armleder, des photographies de Matthieu Gafsou et des vidéos de Pauline Julier. Contrairement à la Belgique où elle est très présente, la peinture n’est pas une forme d’expression dominante en Suisse romande, voire en Suisse tout court. Hormis Miriam Cahn, les artistes importants dans ce pays – je pense à Urs Fischer, Fischli & Weiss, Pipilotti Rist – ne sont pas des peintres.
Vous êtes également collectionneur. D’où vous vient cet intérêt pour l’art contemporain ?
Avant de travailler en Belgique, l’art contemporain ne m’intéressait pas tellement. À l’opéra, ce n’est pas une discipline que vous croisez nécessairement. Ma rencontre avec Jan Fabre a été en cela déterminante. Danse, peinture, sculpture, performance : c’est un artiste à tous les niveaux. Il m’a fait découvrir la scène artistique belge, qui est foisonnante. J’ai commencé à collectionner en 2014, principalement des œuvres d’artistes que je connais personnellement ou avec lesquels j’ai travaillé. Ma collection n’est pas très étoffée et se nourrit en fonction de mes moyens. Elle compte une soixantaine d’œuvres, tant de l’abstraction que de la figuration, des pièces de Berlinde De Bruyckere, de Kati Heck (qui a dessiné une affiche pour l’Opéra des Flandres). Je possède aussi plusieurs travaux de Luc Tuymans, un peintre génial, mais dont l’art reste exclusivement sur toile – alors que pour un décor, les trois dimensions sont nécessaires.