La peinture, que la peinture, la peinture qui absorbe tout, qui enfouit le motif dans ses entrailles, dans sa chair de pigments, dans sa pâte, dans ses creux et ses reliefs. « Tout ce que j’ai essayé en peinture c’est d’arriver […] à une espèce d’absence presque, pour que la peinture soit totalement elle-même », affirme Eugène Leroy en 1979.
La grande rétrospective que le musée d’art moderne de Paris lui consacre montre un artiste en proie à ses obsessions, à ses batailles, reprenant ses thèmes inlassablement. « Dans mon atelier, je vais d’une toile à l’autre, je les abandonne, je les reprends. Souvent, elles me réservent des surprises : ce que j’avais trouvé très mauvais me semble justement très intéressant quelques années plus tard », dit-il encore.
L’exposition est construite par séries, réunissant par exemple ses arbres, ses fleurs, ses poissons, ses marines et paysages, ses réinterprétations de chefs-d’œuvre de la peinture aussi. Dans ses compositions qui peuvent au premier abord apparaître abstraites, le sujet est toujours présent, au centre du tableau même si on ne le distingue plus qu’à peine, qu’on le devine sous les peints et les repeints, sous la touche renouvelée encore et encore de l’artiste. Chez lui, le combat de la figuration face à l’abstraction n’a plus de sens parce qu’au fond, c’est la peinture qui gagne, qui engloutit tout dans sa force possessive, dans une forme de peinture pure que tant d’artistes ont cherché à atteindre avant lui, mais qu’il a réussi à mener à sa plus radicale expression. Si Eugène Leroy est si important, c’est aussi parce qu’il apporte sa pierre à la grande bataille qui a enflammé l’histoire de l’art, celle des partisans du dessin face aux défenseurs de la couleur. Dans ce sens, il n’est pas étonnant que l’artiste se soit penché sur Le concert champêtre hier donné à Giorgione mais aujourd’hui plus couramment attribué à Titien, peintre de la couleur. Les maîtres anciens ont d’ailleurs toujours eu une place particulière dans l’œuvre d’Eugène Leroy et l’exposition en rend compte, avec des œuvres telles que D’après la Ronde de nuit (1990), D’après Jérôme Bosch (La Tentation) (1989-1990), Nativité d’après Van der Goes (1953) ou la plus ancienne La Parabole des aveugles (1943), tableau conservé à La Piscine - Musée d’art et d’industrie André Diligent, à Roubaix. Le peintre reste aussi attaché aux genres traditionnels de la peinture, avec des séries de portraits ou de nus, dans lesquels les corps blancs se confondent avec les fonds, compositions où l’on devine ici un bras, là une chevelure, plus loin un pubis…
Peintre à part, Eugène Leroy a été beaucoup soutenu par la galerie Michael Werner, des artistes tels que Georg Baselitz, des critiques d’art comme Denys Zacharopoulos qui apporte son éclairage dans un film consacré au peintre et projeté dans l’exposition, ou Jan Hoet, emblématique directeur du musée d’art contemporain de Gand qui l’exposera à la Documenta IX à Cassel en 1992.
Le musée d’art moderne de Paris avait invité l’artiste à exposer de son vivant, en 1988. L’institution a au cours des années constitué un bel ensemble de ses œuvres, grâce à des acquisitions et des donations, riche de quarante-huit peintures et dessins, la collection la plus importante en France. Il était donc tout naturel qu’elle lui consacre cette rétrospective qui vient magistralement confirmer la place de ce trop discret grand peintre.
« Eugène Leroy, peindre », jusqu’au 28 août 2022, Musée d’art moderne de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris
À voir aussi : « Eugène Leroy. À contre-jour », jusqu’au 2 octobre 2022, MUba Eugène Leroy, 2 rue Paul Doumer, 59200 Tourcoing