En 1910, Adolf Loos, adepte d’un modern style épuré, s’élève avec virulence contre tout excès ornemental, qu’il juge futile et passéiste. Son manifeste Ornement et Crime (1913) nourrit une nouvelle variante de querelle entre les Anciens et les Modernes autour de la notion de décoratif. C’est à un autre ouvrage de référence, The Grammar of Ornament (1856) d’Owen Jones, que renvoie la foisonnante exposition du Drawing Center, à New York, « The Clamor of Ornament ». L’ornement y est conçu non seulement comme création de formes, mais aussi comme mode de communication et monnaie d’échange – littérale et symbolique – entre différents territoires et diverses cultures. Si elle peut être l’occasion d’un enrichissement mutuel, la circulation des ornements a souvent illustré des rapports de domination et d’appropriation.
Traversant plusieurs disciplines (architecture, design, mode, graphisme, arts plastiques), l’exposition rassemble plus de 200 objets : principalement des dessins (de William Morris, Louis H. Sullivan à Paul Klee et sir David Adjaye OBE), des estampes ( d’Albrecht Dürer, Toyohara Kunichika à Nathalie Du Pasquier [lire page 20] et l’agence M/M) et des papiers découpés (pochoirs japonais), mais également des textiles (tapas d’Océanie, quilts nord-américains, palampores indiens), des logos de maisons de luxe ainsi que quelques photographies sous la forme de tirages ou de fichiers diffusés sur tablette numérique. Aux côtés d’esquisses au crayon de couleur et d’imprimés sur soie et sur satin, défilent des images publiées par Duro Olowu sur son compte Instagram (@duroolowu), où les tenues issues de ses collections se combinent avec des choses vues dans la rue ou dans des musées. Par exemple la remarquable juxtaposition d’une robe d’Yves Saint Laurent avec une toile de Sonia Delaunay-Terk au Centre Pompidou, à Paris, dans le cadre de l’exposition « Yves Saint Laurent aux musées » (du 29 janvier au 16 mai 2022).
Duro Olowu selects
Dans une autre institution new-yorkaise, le designer britannique d’origine soudanaise se fait cette fois commissaire (celui-ci n’en est pas à son coup d’essai, on se souvient notamment de « Seeing Chicago », en 2020, au Museum of Contemporary Art de cette même ville). Vingtième édition de la série d’expositions annuelles intitulées « Selects » présentées au Cooper Hewitt, « Duro Olowu Selects » se consacre au motif et à la répétition. Au moyen d’un ensemble éclectique de tissus et vêtements, d’accessoires de mode, de pièces de mobilier, de céramiques ainsi qu’un plan cadastral, une lithographie de Ruth Asawa ou encore une pochette de disque illustrée d’une œuvre de Josef Albers, les motifs se croisent et se répondent, évoluent et se transforment à travers le temps et les aires géographiques.
Cette exploration joyeuse du motif et de ses variations permet un rapprochement stimulant des arts appliqués et des beaux-arts autant qu’une remise en cause salutaire d’une distinction stricte entre ces catégories conventionnelles.
« The Clamor of Ornament. Exchange, Power, and Joy From the Fifteenth Century to the Present », 15 juin-18 septembre 2022, The Drawing Center, 35 Wooster St., New York, NY 10013, États-Unis, drawingcenter.org
« Duro Olowu Selects : Works from the Permanent Collection », 18 mars-28 août 2022, Cooper Hewitt, Smithsonian Design Museum, 2 East 91st St., New York, NY 10128, États-Unis, cooperhewitt.org