Vous êtes entrée en fonction le1er juin. Comment se déroulent vos premières journées ?
Je les passe à découvrir ce bâtiment extraordinaire. Dans la vie d’un professionnel des musées, il est extrêmement rare d’intégrer un lieu complètement neuf. Je me familiarise aussi avec l’équipe, bien plus conséquente que lorsque je travaillais à l’ancien musée de l’Élysée.
Vous revenez dans cette institution après l’avoir quittée il y a douze ans, à l’époque où elle était dirigée par le Canadien William Ewing. Depuis, avez- vous discuté avec celui que vous considérez comme votre mentor ? Pas depuis quinze jours ! Si je suis là aujourd’hui, c’est évidemment grâce à lui, car les années que j’ai passées au musée de l’Élysée ont été fondatrices. Il a amené beaucoup de rêve à cette institution qu’il a dirigée pendant quatorze ans, à laquelle il a permis de rayonner. Je me réjouis de lui faire découvrir le nouveau bâtiment lors de son inauguration le 15 juin. Il sera certainement très heureux de voir le chemin parcouru.
Et comment retrouvez-vous la maison ?
Je ne vois pas cela comme un retour. Le lieu dans lequel j’arrive a très peu à voir avec le musée que j’ai quitté en 2010, à une époque où l’on ne parlait ni de nouvel établissement ni d’un grand quartier des arts à Lausanne. La dynamique était alors complètement différente. Si je connais bien l’histoire de l’institution, ce nouveau projet est comme une page blanche.
Il est d’autant plus différent que vous avez désormais pour voisins immédiats le musée cantonal de Design et d’Arts appliqués contemporains (mudac) et le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne (MCBA).
Le travail en étroite collaboration avec ces deux institutions ouvre bien entendu des perspectives que Photo Élysée n’a jamais connues. Penser ensemble aux moyens de faire vivre le quartier Plateforme 10 est très excitant. Cette nouvelle adresse et ce nouveau bâtiment obligent, de fait, à envisager le musée d’une tout autre manière. Le jardin de l’Élysée avec sa vue imprenable sur le lac Léman avait beaucoup de charme et marquait les visiteurs à leur arrivée. Ici, l’impact provient de l’architecture, qui vous frappe dès que vous franchissez la porte. Le plateau d’exposition de 1 400 m2 recèle un potentiel gigantesque. Son plan libre permet de fluidifier l’espace, de bouger les murs, d’en enlever ou d’en ajouter. C’est un vrai musée du XXIe siècle, qui a été pensé sur-mesure pour présenter des expositions mais aussi conserver des collections de photographie.
Au musée des Beaux-Arts du Locle (MBAL), que vous dirigiez depuis 2014, la photographie, votre sujet de prédilection, était mêlée aux beaux-arts. Ici, vous dirigez un lieu entièrement consacré à la photographie. Vous concentrerez-vous uniquement sur cette dernière ou lancerez-vous des ponts vers les autres arts ?
Je ne serais pas venue à Photo Élysée s’il s’agissait de penser ce lieu en termes uniquement photographiques. Les projets de collaboration avec les deux autres musées de Plateforme 10, très stimulants, sont en cohérence avec ce que j’ai fait au Locle. De même que j’aimerais accueillir des objets qui ne relèvent pas de la photographie, je souhaite que cette dernière s’invite sur les murs du mudac et du MCBA. Cela dit, la mission de Photo Élysée reste de défendre la photographie au sens large. N’oublions pas que les photographes travaillent avec des appareils qui font de l’image fixe et en mouvement, et qu’ils pensent leurs images sur différents supports. La photographie ne se limite plus à de beaux tirages sur papier, c’est aussi de la projection, de l’écran, du livre, de l’affiche, du papier peint et du magazine. L’institution doit rester à l’écoute de ces évolutions en les faisant entrer en résonance avec les objets patrimoniaux qu’elle conserve.
Votre programmation commencera en 2023. Savez- vous déjà quelle sera votre première exposition ?
Il est encore un peu tôt pour le dire. Je suis en phase de découverte et de réflexion. Je pense monter mon premier projet pour l’été 2023. Ce je souhaite néanmoins, c’est que ce musée soit un lieu réactif.
En quel sens ?
Avant de quitter le musée des Beaux- Arts du Locle, j’ai conçu plusieurs expositions qui ont été inaugurées fin mai. Parmi celles-ci, il y a le travail d’Émeric Lhuisset : cent portraits de résistants ukrainiens photographiés en mars. J’avais également présenté en 2020 des images de New York au temps du Covid-19 et des manifestations du mouvement Black Lives Matter. J’aspire à proposer ce genre de projets ici, car j’estime nécessaire que Photo Élysée apporte une réflexion sur les images d’actualité. Je n’ai pas envie de caler une programmation rigide sur cinq ans et ne plus pouvoir m’en départir.
On dit le milieu de la photographie très masculin. Pourtant, en Suisse, les grandes institutions qui lui sont consacrées (à Winterthour, Bienne, Genève) sont toutes dirigées par des femmes. Qu’est-ce que cela vous inspire ? Les choses ont beaucoup bougé depuis dix-quinze ans. Quand j’ai commencé ce métier, la plupart des musées étaient dirigés par des hommes, à quelques exceptions près, comme le Jeu de Paume, à Paris, sous la direction de Marta Gili [de 2006 à 2018]. Sa nomination avait d’ailleurs été pour moi très inspirante. Aujourd’hui, les femmes sont là, le mouvement est lancé. De plus en plus de mes interlocuteurs sont des interlocutrices, et j’estime important que la parité soit respectée. Même les grandes institutions s’y mettent : regardez le Louvre avec Laurence des Cars ! Et le Kunsthaus de Zurich, dont la nouvelle directrice est Ann Demeester.
À ce propos, c’est aussi une femme, Federica Chiocchetti, qui vous a succédé au MBAL. Ce qui doit vous rassurer quant à la poursuite du travail en ce lieu que vous avez fait connaître à un niveau international et dont l’avenir aurait pu être menacé après votre départ...
Cela me fait très plaisir. Comme moi, Federica est une spécialiste de la photographie qui cherche à l’unir avec d’autres médiums artistiques Le MBAL va donc garder le même élan. Ce choix est celui de la Ville du Locle et de l’association qui gère le musée, pour laquelle il n’était pas question de laisser lors de mon départ un temps de vacance qui aurait permis à la politique de s’en mêler. Cette nomination illustre le souhait de maintenir une programmation en lien fort avec la photographie.
Vous exerciez diverses activités hors du MBAL, dont le festival Alt.+1000, qui montre de la photographie en extérieur, et l’organisation d’expositions à l’étranger. Allez-vous tout arrêter ?
Oui et non. Disons que j’ai hâte de poursuivre ce type d’activités au sein de Photo Élysée. Si Alt.+1000 se poursuivra sans moi, je pourrai proposer des expositions hors les murs, mais sous l’égide du musée. J’aimerais concevoir des projets qui fassent rayonner ce lieu à l’étranger. Toute mon énergie va être consacrée à l’institution. Tatyana Franck, à qui je succède, a fait naître cet outil magnifique que je me réjouis de faire vivre avec toute l’équipe. Étant également une commissaire d’exposition, j’ai l’ambition d’une programmation forte qui permettra au musée non seulement de retrouver le public suisse et local mais aussi d’avoir un impact international. Je me réjouis, enfin, de remettre sur pied la Nuit des images, qui se déroulait dans le jardin de l’Élysée et qui n’a pu se tenir ces dernières années.