Vous avez étudié la photographie à l’École de photographie de Vevey. Pourquoi avoir choisi la voie de la conservation plutôt que celle de la création ?
J’avais 18 ans, et la photographie m’attirait, mais sans que j’aie réellement réfléchi à ce que je pouvais faire avec ce médium. J’ai assez vite compris que j’aimais davantage travailler avec les photographes et la photographie que produire mes propres images. Après mon apprentissage, je me suis inscrite au programme Critical Curatorial Cybermedia Studies (CCC) à la Haute École d’art et de design, à Genève, destiné entre autres aux gens dans mon cas, intéressés par l’art, mais n’envisageant pas nécessairement d’être artistes. Huit ans plus tard, en 2016, je suis partie à Londres pour suivre un master en muséologie, car j’avais depuis longtemps envie de confronter une approche plus académique avec la réalité de l’institution. En 2018, je suis devenue directrice du Photoforum Pasquart, à Bienne.
Vous prendrez la direction du Centre de la photographie Genève (CPG) le 1er janvier 2022. Joerg Bader, qui le dirige depuis 2001 et qui a atteint l’âge de la retraite, refusait de quitter son poste avant 2023. Comment se déroule cette passation compliquée ?
Le travail avec l’équipe se passe très bien. Ma candidature a été choisie par le comité du CPG et ma nomination validée par Sami Kanaan, le conseiller administratif de la Ville de Genève en charge de la culture. Les expositions que Joerg Bader a programmées jusqu’en février 2022 sont maintenues. Mon premier accrochage sera inauguré dans la foulée – ce sera très beau et très sensuel.
On a souvent reproché au CPG une programmation axée sur une image socialement et politiquement très engagée, voire déprimante et élitiste, avec peu de grands noms. Comment allez-vous procéder ?
Il est encore trop tôt pour que je puisse donner un programme détaillé, mais je peux dire qu’il y aura une forme de continuité, au sens où la photo en tant qu’enjeu de société, et non uniquement comme un sous-domaine de l’art contemporain, m’intéresse profondément. Je veux explorer le potentiel émancipatoire de l’image, son rôle de mode d’expression personnelle relativement accessible pour écrire sa propre histoire. Par exemple, l’an dernier, avec le photographe soudano -algérien Abdo Shanan, j’avais invité à Bienne une quarantaine de jeunes Algériens qui recourent à la photographie pour exprimer leur identité et leur rapport au monde dans un pays qui a vécu la colonisation et la postcolonisation. Toutes ces images ne sont pas spectaculaires, mais elles traduisent un positionnement, une individualité du regard face aux événements qui se déroulent aujourd’hui en Algérie. Voilà le type d’approche photographique qui m’attire, et qui trouve son public.
Et pour les grands noms ?
Il y en aura. Prendre la tête de cette institution est aussi pour moi l’occasion de me pencher sur différents moments de l’histoire de la photographie et de ses techniques. Même si le lieu, en termes de dimensions et d’isolation thermique, n’est pas idéal pour organiser une exposition de daguerréotypes, par exemple. Cependant, il sera tout à fait possible d’y confronter des créateurs émergents avec des travaux historiques.
Le Centre de la photographie Genève est un acteur au sein d’un réseau étendu d’institutions photographiques, avec lesquelles les synergies sont heureuses.
Le CPG a été fondé en 1984 par des photographes genevois pour la défense de la photographie comme l’un des beaux-arts. Lesquels ont souvent reproché à Joerg Bader de ne pas les exposer suffisamment. Quel sera votre point de vue à ce sujet ?
La photographie genevoise figurera à mon programme, c’est évident, sans qu’il s’agisse pour autant d’introduire des quotas. Il y a de nombreux photographes genevois très intéressants et dont j’ai vraiment envie de présenter les travaux.
Vous passez des sept salles du Photoforum Pasquart à l’unique salle du CPG. Comment allez-vous vous adapter ?
Il n’est pas nécessaire de disposer de 1000 m2 pour bien faire les choses. Un espace d’exposition de taille modeste avec des cimaises mobiles permet aussi de nourrir des projets ambitieux. Joerg Bader avait ainsi décentralisé le CPG en organisant régulièrement des festivals dédiés à l’image. J’aime bien l’idée d’avoir un camp de base à partir duquel je peux me déployer sur d’autres envergures.
Face au Fotomuseum à Winterthour, au musée de l’Élysée à Lausanne, au Photoforum Pasquart à Bienne et au musée des Beaux-Arts du Locle, le CPG reste la moins connue des institutions suisses consacrées à la photographie. Que comptez-vous faire pour qu’il tire davantage son épingle du jeu ?
Le lieu a son identité propre, une ligne précise et un public qui la suit. L’enjeu est de développer cette ligne, en complémentarité de ce qui se fait ailleurs. Le CPG n’est pas concurrent des institutions de Lausanne, Winterthour ou Bienne mais complémentaire. Il ne détient aucune collection, contrairement à l’Élysée et au Fotomuseum, qui peuvent organiser des rétrospectives, par exemple. Ce qui nous incite à mettre davantage de moyens sur la production, la création de nouveaux corpus. Les collections existantes, à Genève ou ailleurs, demeurent une ressource très intéressante à exploiter. Il y a notamment, en Suisse, des musées et des bibliothèques qui conservent des ensembles de photographies impressionnants, mais qui sont peu vus. Pour moi, le CPG est un acteur au sein d’un réseau étendu d’institutions photographiques, avec lesquelles les synergies sont possibles et heureuses.
Lesquelles sont d’ailleurs toutes dirigées par des femmes.
En Suisse, la photographie et ses lieux d’exposition ont longtemps été un bastion très masculin, tant sur les cimaises que dans les bureaux. Depuis quelques années, le vent a tourné. Entre directrices, nous nous parlons, nous connaissons et nous entendons bien. Entre personnes qui s’estiment, les collaborations et les échanges d’idées sont fructueux : nous nous renforçons mutuellement.
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Centre de la photographie Genève, Bâtiment d’art contemporain, 28, rue des Bains, 1205 Genève, Suisse.