L’exposition des quatre nommés 2021 du Prix Marcel-Duchamp – Julian Charrière, Isabelle Cornaro, Julien Creuzet, Lili Reynaud Dewar – ouvre aujourd’hui. Qu’est-ce qui caractérise cette édition ?
La première chose, c’est la pandémie. Nous en avons souffert depuis un an et demi. J’espère que ce prix sera normal. Ces deux dernières années, nous avons organisé deux expositions qui n’ont pas été accessibles. Nous retrouvons un peu de normalité, même si le comité de sélection du prix cette année a été en partie organisé en visioconférence. De mon point de vue, le choix des nommés met bien en relief la diversité, avec des créateurs de différents horizons, mais aussi par leur travail qui montre toute la richesse de la scène française. Les quatre artistes sont de très grande qualité.
LE CHOIX DES NOMMÉS DU PRIX MARCEL DUCHAMP MET BIEN EN RELIEF LA DIVERSITÉ
Pourquoi quinze jours séparent désormais le vernissage de l’exposition de l’annonce du lauréat, soit une semaine de plus qu’initialement ?
Nous souhaitons que cet écart soit un peu plus grand encore, mais pour l’instant nous n’avons pas réussi à l’obtenir. Ce sera une discussion future parce que je pense qu’il est préférable d’avoir plus de temps pour permettre au public de se faire une idée, pour que le jury puisse aussi revoir plusieurs fois l’exposition.
Comment choisissez-vous justement les membres du jury ?
Il s’agit de la troisième étape dans l’organisation du Prix Marcel-Duchamp. Auparavant, tous nos membres peuvent soumettre des artistes. Nous établissons une liste qui est ensuite reprise par un comité de sélection dont le rôle est de nommer les quatre artistes. Le jury est composé de sept personnes dont trois fixes : la représentante de l’Association Marcel Duchamp, le directeur du musée national d’art moderne (et président du jury) et le président de l’Adiaf.
Quatre autres personnes sont choisies suivant les critères suivants : il doit y avoir deux collectionneurs et deux responsables d’institutions, une dimension internationale, une diversité et un équilibre homme/femme. Nous cherchons toujours des gens de renommée internationale. Cette année, nous avions invité Yan Shijie, fondateur et directeur du Red Brick Art Museum à Pékin; mais il n’a pas pu venir. Les membres sont donc Emma Lavigne, présidente du Palais de Tokyo qui va diriger la Pinault Collection, Annabelle Ténèze, directrice des Abattoirs, Musée - Frac Occitanie à Toulouse, Leon Amitai, un grand collectionneur colombien, et Shalva Breus, collectionneur, fondateur et président du Prix Kandinsky en Russie. Ces derniers nous ont garanti qu’ils pourraient venir. Le président du jury est le directeur du musée national d’art moderne, Xavier Rey qui vient d’arriver et remplace Bernard Blistène. Cette édition du prix est un peu particulière parce que la direction du Centre Pompidou a été totalement renouvelée avec un nouveau président, Laurent Le Bon, qui succède à Serge Lasvignes.
LE PRIX MARCEL DUCHAMP EST PLUS QUE JAMAIS UN PRIX DE COLLECTIONNEURS
Je me réjouis de l’arrivée de Laurent Le Bon et de Xavier Rey avec qui d’excellentes relations ont déjà été nouées pour dynamiser la scène française, en particulier autour du Prix Marcel Duchamp. Nous rendons aussi hommage à Serge Lasvignes et à Bernard Blistène. C’est grâce à ce dernier que les quatre artistes nommés au prix sont exposés au Centre Pompidou chaque année depuis 2016. Auparavant, l’exposition se déroulait au sein de la FIAC de façon plus modeste et seul le lauréat était exposé à Beaubourg. Nous avons renforcé notre collaboration avec le Centre Pompidou durant la direction de Bernard Blistène. Certains s’en étaient même émus, craignant une mainmise du musée national. Mais ce n’est pas du tout le cas. Le Prix Marcel Duchamp est plus que jamais un prix de collectionneurs, et c’est notre comité de sélection de onze personnes qui choisit les artistes. Un conservateur du Centre Pompidou – le commissaire de l’exposition, cette année Philippe Bettinelli – nous accompagne et nous échangeons avec lui, mais son rôle est consultatif. Je tiens d’ailleurs à saluer cette collaboration remarquable entre une grande institution publique et une association privée et remercie le Centre Pompidou pour ce soutien exemplaire.
POUR LES 20 ANS DU PRIX MARCEL DUCHAMP, NOTRE EXPOSITION AU CENTRE POMPIDOU A DURÉ 6 MOIS MAIS N’A ÉTÉ ACCESSIBLE QUE 6 JOURS !
Plus généralement, quelles incidences a eue la pandémie sur les activités de l’Adiaf ?
Nous organisons des visites d’atelier, et nous avons été obligés de les programmer en visioconférences. Nous avons cependant été très actifs pendant cette période, avec les artistes, organisant des rencontres et des conférences. Nous avons essayé de continuer à garder le contact avec nos membres, même si ce n’est pas la même chose qu’en présentiel, sans le contact direct avec les œuvres et les artistes. Mais cela nous a poussés à progresser en termes de communication. Nos expositions ont été perturbées, notamment celles à l’international, que nous avons arrêtées, parce que les gens ne pouvaient plus se déplacer. Nous allons peut-être aussi devoir nous redéployer géographiquement. Certaines zones restent problématiques. Nous avons organisé beaucoup d’expositions en Chine et l’année prochaine, ce pays ne sera toujours pas accessible. Pour les Jeux Olympique d’hiver de Pékin en février 2022, aucun visiteur étranger ne sera toléré. En France, pour les 20 ans du Prix Marcel-Duchamp, nous avons réussi à monter notre exposition au Centre Pompidou; elle a duré 6 mois mais n’a été accessible que 6 jours ! En ce qui concerne les expositions programmées avec les FRAC, cela a été très difficile et nous avons eu énormément d’annulations. Cela a été terrible.
Avez-vous connu une évolution du nombre de vos membres ?
Compte tenu de la situation sanitaire et de l’impossibilité d’organiser des événements en présentiel, il a chuté, mais nous n’avons pas connu de problèmes financiers, parce que nos mécènes ont été extrêmement fidèles. De plus, les membres qui sont restés ont été très généreux. Nous avons également bénéficié d’aides plus importantes du ministère de la Culture. Il est évident que nous avons eu aussi moins de frais.
Vos mécènes ont-ils changé ?
Nous en avons eu de nouveaux, en particulier Catawiki, un site d’e-commerce. Artprice nous a aussi rejoints, de même que le Group ESI, une société de transport d’œuvres d’art. Il nous faut des piliers si nous voulons avoir des projets et les moyens qui vont avec.
Quels sont justement vos projets pour l’année qui vient ?
Notre association organise des expositions autour du Prix Marcel-Duchamp. Elles ne se réduisent pas aux lauréats mais concernent tous les artistes qui ont été nommés – ils sont 90 – que nous voulons aider et montrer. Nous avons déjà monté plus de vingt expositions à l’étranger, dont un nombre important dans le Sud-Est asiatique, au Japon, en Corée du Sud, en Chine. Personnellement, je pense que l’on doit se renforcer aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Allemagne. Compte tenu de la pandémie, il est possible que nous nous recentrions sur l’Europe et l’Amérique, même si les difficultés persistent. Comme nous l’avons annoncé vendredi [1er octobre 2021] nous avons signé une convention avec la Villa Albertine pour que le lauréat du Prix Marcel Duchamp bénéficie systématiquement d’une résidence aux États-Unis. Cela nous permettra de disposer d’un ancrage dans ce pays. Nous voudrions y construire quelque chose, quitte à s’associer avec des collectionneurs américains. Nous avons convenu de créer un événement local pour y faire connaître le Prix Marcel Duchamp, ses artistes et la scène française. Dans un deuxième temps, d’ici deux ou trois ans, nous voudrions proposer une exposition des artistes du prix aux États-Unis pour y monter la création en France. C’est l’évolution internationale que je souhaite insuffler.
D’ICI DEUX OU TROIS ANS, NOUS VOUDRIONS PROPOSER UNE EXPOSITION DES ARTISTES DU PRIX AUX ÉTATS-UNIS
Nous avons aussi un très beau projet en Colombie, avec Catherine Petitgas. Il est construit, nous avons le lieu, les artistes, mais se pose encore la question du financement. En revanche, nous avons abandonné notre projet en Russie parce que c’était trop compliqué. Au-delà de la crise sanitaire, nous allons aussi devoir nous adapter en fonction de l’évolution géopolitique du monde. La Chine ne sera peut-être pas tout à fait la même après la pandémie. Ses rapports avec l’Occident vont possiblement devenir plus complexes.
NOUS DEVONS CONTRIBUER À RENDRE PLUS VISIBLE LA SCÈNE FRANÇAISE POUR LES ARTS VISUELS
Concernant les vingt ans du prix, dont la célébration a été lourdement perturbée, certains projets vont-ils néanmoins se concrétiser ?
Les 20 ans sont passés mais certaines manifestations sont programmées. Après l’exposition à l’Espace de l’Art Concret à Mouans-Sartoux cet été, une exposition importante se déroulera en janvier 2022 avec le FRAC Auvergne, et une autre en 2023 au FRAC Bretagne. Et des événements se tiendront sûrement à l’avenir dans d’autres FRAC. C’est très important d’être fort dans son pays pour pouvoir rayonner à l’international, comme dans l’économie. Nous continuerons donc ce genre d’efforts. Nous allons aussi essayer d’inciter les institutions de notre pays à acquérir de l’art français. Nous ne sommes pas dans une logique de découverte d’artistes. Nous faisons en sorte que des créateurs dans la force de l’âge, qui ont entre 30 et 50 ans, rentrent dans des collections publiques comme celle du Centre Pompidou. Il ne faut pas que la France oublie ses artistes.
Quels sont vos autres chantiers ?
Notre prix doit bénéficier d’une plus grande communication. Nous devons contribuer à rendre plus visible la scène française pour les arts visuels. Le relais médiatique du Turner Prize est toujours plus important en Grande Bretagne. Les quatre nommés français sont présentés au Centre Pompidou, ce qui est fondamental, d’autant qu’en termes d’art contemporain français, il s’agit du grand événement de l’année pour l’institution. Parallèlement, nous devons aussi nous renforcer sur les réseaux sociaux pour rentrer en contact avec d’autres publics et en particulier avec la jeunesse. C’est essentiel et notre audience est encore faible, avec seulement 7 300 followers sur Instagram alors que la Fondation Pernod Ricard en a 36 000. C’est un chantier prioritaire que nous menons activement et je vous invite à suivre les différentes étapes du Prix Marcel Duchamp 2021 sur les réseaux sociaux.
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Prix Marcel Duchamp 2021, 6 octobre 2021 - 3 janvier 2022, Centre Pompidou, Galerie 4, Niv 1, 75004 Paris.