Christian Boltanski est mort hier, le 14 juillet 2021. Avec lui disparaît l’un des artistes majeurs de la scène française, l’un des rares aussi ayant eu pendant des années une présence internationale, en Europe et en Allemagne notamment, mais aussi aux États-Unis et au Japon.
SON ŒUVRE SERA MARQUÉE PAR CETTE ANXIÉTÉ, QUI JAMAIS NE DISPARAÎT, DE LA MORT
Fortement ancré dans sa biographie, son travail débute avec ce qui sera qualifié de mythologie personnelle, une accumulation de petites pièces présentées sous vitrines. Sa vie, son enfance, il les scénarise à longueur d’entretiens qui reprennent les mêmes histoires, celle de sa famille, de son père arrivant à Paris par le train depuis l’Europe de l’Est, ses angoisses nées de la Seconde Guerre mondiale, ses nuits qu’il passe avec ses deux frères dans la chambre de ses parents. Son œuvre sera marquée par cette anxiété qui jamais ne disparaît, de la mort, et de la disparition dans ce qu’elle a de plus inquiétante, tout en étant dans un sens inéluctable. Il ne cessera de poser ces questions dans des installations souvent immersives qui invitent les visiteurs, par exemple du Museum für Gegenwartskunst à Bâle, à piétiner des vêtements abandonnés, évoquant la mémoire de ceux qui les ont portés, des disparus dont le spectre hante encore les lieux. Au musée cantonal des beaux-arts de Lausanne, il présente des boîtes rouillées, dont chacune porte une mauvaise photo en noir et blanc d’un enfant, d’une femme ou d’un homme, faiblement éclairée par une lampe individuelle, comme un labyrinthe qui en devient anxiogène. Ces «Suisses morts», choisis aléatoirement par l’artiste, viennent rappeler, même dans ce pays neutre reconnu pour sa clémence, la force du destin, auquel nul ne peut échapper, celui de la disparition, du dernier souffle, et de la petite boîte. Toujours dans un souci d’archive et d’inventaire, Christian Boltanski avait réuni dans l’exposition « Voilà, le monde dans la tête » au musée d’art moderne de la Ville de Paris en 2000, dont il était co-commissaire, 2 500 annuaires venus du monde entier. Cette installation, Les abonnés du téléphone, se découvre encore aujourd’hui au sous-sol de l’institution. Invité en 2010 pour « Monumenta » au Grand Palais, à Paris, il présente dans l’immense nef du XIXe siècle l’installation « Personnes », des centaines d'habits alignés, mais aussi des tas de vêtements qui ont perdu leurs propriétaires. L’exposition poursuit aussi un projet au long cours, entrepris dès 2008, les Archives du cœur, qui sont conservées en permanence par le Benesse Art Site Naoshima. Chacun est alors invité à faire enregistrer le battement de son cœur, signe du souffle de la vie.
EN 2010 POUR « MONUMENTA » AU GRAND PALAIS, ÀPARIS, IL PRÉSENTE DANS L’IMMENSE NEF DU XIXE SIÈCLE L’INSTALLATION « PERSONNES »
Trente-cinq ans après sa dernière monographie au Centre Pompidou, l’artiste y avait été invité en 2019-2020 pour « Faire son temps », un parcours dans son travail qui au final faisait œuvre tant il révélait une unité dans le propos, dans l’esthétique, un cheminement bordé de grands tissus blancs qui vibraient comme les habits diaphanes de fantômes, révélant combien toutes ces absences demeuraient présentes.
Figurines tremblantes à la chaleur de bougies chancelantes, homme qui tousse jusqu’à toutes les outrances, chaque pièce montrait à sa manière la portée du titre de l’exposition, dont on pouvait percevoir toute l’ambivalence aussi. Christian Boltanski a pourtant fait bien davantage : il a marqué son temps.