Comment est né ce projet ?
Francis Briest : Voyageant aux États-Unis, à l’aéroport de Chicago, avec mes fils Nicolas et Frédéric, qui travaillent dans les aéroports internationaux avec des sociétés de bien-être, nous nous sommes aperçus qu’il manquait quelque chose à ces lieux riches en nourritures pour le corps et pas pour l’esprit : de l’art. Mais comment montrer de l’art là où on vend des montres, des vêtements ou des souvenirs ? Grâce au soutien du président d’Aéroports de Paris (devenu Groupe ADP), Augustin de Romanet, qui a pris à ce moment-là les rênes de l’aéroport, nous avons réussi à y introduire un peu de culture. L’objectif était de rappeler l’offre muséale extraordinaire de la capitale. À ma connaissance, seul Schiphol, l’aéroport d’Amsterdam, propose un espace mais sur un seul musée, le Rijksmuseum.
Anne de Turenne : Le projet est arrivé au bon moment, alors qu’un nouveau terminal allait être construit à Roissy. Espace Musées est situé dans un bâtiment créé en 2012, alors le plus long de France : plus d’un kilomètre. Ce hub Skyteam Air France dispose d’une quinzaine de portes d’embarquements pour les A380 [en moyenne 500 passagers par vol, ndlr]. C’était un choix stratégique. Les passagers empruntant ces très gros avions doivent arriver plus tôt et rester près de deux heures en salle d’embarquement. Entre Est et Ouest, l’aéroport de Roissy constitue une escale pour les deux tiers des voyageurs fréquentant ce terminal. Paris Aéroport a voulu représenter l’esprit de la capitale française dans ce terminal. Ils avaient la mode et la gastronomie, leur manquait l’art, que nous avons donc apporté. Les visiteurs restent en moyenne quinze à vingt minutes dans les expositions.
Quelle est la programmation ?
F.B.: Notre ambition était de donner accès à l’ensemble des institutions parisiennes et montrer le meilleur de ce qu’ils ont à tour de rôle, le temps d’expositions de longue durée de six mois, en accès libre. Nous avons débuté avec le musée Rodin, montrant le Penseur et le Baiser. Il existe une telle richesse de musées et de fondations à Paris, voire en périphérie, que je ne suis pas inquiet pour la suite. Parmi les grandes institutions, seul le Louvre, à ce jour, n’a pas participé.
L’OBJECTIF ÉTAIT DE RAPPELER L’OFFRE MUSÉALE EXTRAORDINAIRE DE LA CAPITALE
A. de T. : Paris Aéroport souhaitait mettre en avant des lieux de la capitale, car c’est leur propos. Cela évoluera peut-être. Notre volonté est d’alterner des musées de taille diverse, tant la Fondation Dubuffet ou, à l’avenir, la Fondation Arp, que le Centre Pompidou ou le musée national Picasso-Paris.
F. B. : Aller de Rodin à Dubuffet en passant par des tapisseries du Mobilier national permet de témoigner de la diversité artistique. Il faut souligner que les voyageurs représentent une variété de cultures.
Justement, comment adapter le propos aux différentes sensibilités ?
F.B. : Il n’est pas question de censure. Chaque musée a une latitude totale, sans cahier des charges. Tout ce qui est accroché dans les musées nous semble acceptable.
A. de T. : Nous rappelons quand même à chaque fois aux commissaires que l’exposition est en accès libre, aux enfants, et à un public de sensibilités différentes. Il faut rester universel. S’il y a des nus, nous ne nous autocensurons pas. Nous avons travaillé les lieux pour qu’ils soient très silencieux, que le parquet absorbe une grande partie des bruits de l’aéroport, comme une chapelle. Ce qui permet, je pense, une certaine distance avec les œuvres. Nous essayons de trouver des thématiques, soit parisiennes soit transversales. Le Quai Branly s’est concentré sur le voyage à travers les explorateurs sur chaque continent. Le musée des arts décoratifs s’est lui aussi penché sur le voyage avec, entre autres, des lits et des malles.
Vous avez aussi travaillé avec le Prix Marcel Duchamp. Une façon plus audacieuse, vu le public visé, de refléter aussi la création contemporaine…
F.B. : En effet, nous l’avons présenté car je pense qu’aujourd’hui, les capacités internationales de nos artistes français ne sont plus à démontrer. Ce prix a gagné une telle notoriété grâce aux efforts de Gilles Fuchs, son fondateur, par la présentation du lauréat et des nommés au Centre Pompidou et les expositions faites à l’étranger, qu’il nous paraissait indispensable de le montrer aussi, et d’ajouter un volet « vivant » aux expositions faites à Roissy.
Quel est le schéma financier ?
F.B. : Un fonds de dotation a été constitué, que je préside. Paris Aéroport abonde à ce fonds chaque année, pour assurer un transport gratuit des œuvres pour les musées, l’assurance, l’installation, la scénographie et le dispositif numérique qui accompagne les expositions. Nous avons créé, au sein de ce fonds de dotation, une partie de conseil, comprenant l’ancien président du musée d’Orsay, Serge Lemoine.
A. de T. : L’agence Artcurial Culture accompagne le fonds de dotation pour la production des expositions. Il s’agit surtout de logistique, car le commissariat est généralement assuré par un conservateur du musée invité. Nous les accompagnons aussi pour la communication. Je vois un peu notre rôle comme celui d’une agence matrimoniale reliant le monde des aéroports et celui des musées, a priori fort éloignés.
PARIS AÉROPORT AVAIT LA MODE ET LA GASTRONOMIE, MANQUAIT L’ART
Ce modèle est-il déclinable ?
F.B: Espace Musées pourrait être décliné également. Nous pourrions imaginer de reproduire un tel espace dans d’autres hubs de Paris Aéroport, à Orly par exemple, qui est en plein développement.
Comment fonctionne l’agence Artcurial Culture ?
A. de T. : Avec ce projet, nous avons découvert que beaucoup d’acteurs étaient demandeurs d’un accompagnement similaire dans des lieux de passage. Cela nous a amenés, avec l’agence, à produire des expositions en France, telle « Yves Klein » en réalité augmentée à Nice pour le groupe Hammerson, ou à l’étranger, à Rabat, avec « César », au Musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain. Nous avons aussi fait des études de faisabilité pour une collectivité territoriale, ou encore une maison de champagne. Nous réfléchissons aussi avec des groupes immobiliers sur la façon d’y présenter de l’art. Notre dernier projet en date est d’accompagner l’exposition « Uderzo » au musée Maillol qui devrait bientôt ouvrir. Cette activité n’est pas le nerf de la guerre d’Artcurial, mais c’est bien sûr plus lucratif qu’Espace Musées à Roissy.
NOUS POURRIONS IMAGINER DE REPRODUIRE UN TEL ESPACE DANS D’AUTRES HUBS DE PARIS AÉROPORT
F. B. : Nous effectuons des prestations de services rémunérées. Les grandes marques ont leurs fondations, Artcurial a sa petite agence qui organise des projets culturels. Nous voulions développer autre chose que l’aspect financier d’une maison de ventes, apporter une autre dimension.
Vu la situation liée à la pandémie, l’avenir d’Espace Musées pourrait-il être compromis ?
F.B. : Tant que le président de Paris Aéroport y trouvera un intérêt, le lieu sera pérenne. La pandémie a arrêté son activité mais dans tous les conseils d’administration, il a été dit que nous allions continuer. La question n’est donc pas si, mais plutôt : quand ?