Une directive d’harmonisation a imposé le droit de suite dans l’Union européenne en 2006. Les frais et la bureaucratie qu’il induit l’ont rendu impopulaire auprès des commissaires-priseurs et des marchands d’art. L’idée initiale était d’aider les artistes en difficulté et leurs familles en les faisant bénéficier de la valeur prise par leurs œuvres, même après leurs ventes initiales. À chaque revente, ils peuvent ainsi toucher un pourcentage, quel que soit d’ailleurs le prix que ces œuvres ont atteint sur le marché entretemps. Certains considèrent le droit de suite comme un impôt sur les entreprises et qu’il devrait plutôt être rebaptisé taxe sur la revente des œuvres d’art. Aujourd’hui, alors le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne, doit-il continuer à appliquer le droit de suite ?
La Fédération britannique du marché de l’art (British Art Market Federation, BAMF), qui s’est opposé à la création du droit de suite, ne s’est pas encore prononcée à ce sujet – et il est peu probable qu’elle le fasse prochainement. En effet, la réouverture de ce débat pourrait aboutir à une situation plus dommageable encore. En réalité, très peu de gens connaissent ce dispositif. Selon son image – infondée – auprès du grand public, il servirait à aider les artistes en situation de pauvreté. C’est pourquoi il est difficile d’inciter les députés à s’emparer de ce dossier – ils n’en sortiraient pas gagnants. Ajoutez à cela le fait que l’accord commercial du Brexit promet une réciprocité du point de vue du droit, il apparaît alors clairement que le droit de suite a vocation à rester… sous une forme ou sous une autre. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne subira pas de changement.
CERTAINS CONSIDÈRENT LE DROIT DE SUITE COMME UN IMPÔT SUR LES ENTREPRISES
Ses principaux bailleurs de fonds – les agences de collecte telles que le DACS (Design and Artists Copyright Society, l’équivalent de l’Adagp en Grande-Bretagne), qui prélèvent 15% de ce qu’elles facturent au marché–, manient le plus souvent l’argument de l’« équité » pour justifier de ce droit. La campagne #FairShareForArtists résume parfaitement cette situation, car elle vise à conserver le droit de suite après le Brexit : « Les redevances payées par le biais du droit de suite… donnent aux artistes visuels une part équitable de la valeur que prend leur œuvre ».
Un certain nombre de facteurs rendent toutefois le droit de suite injuste, surtout du point de vue de ces deux aspects :
– Le droit de suite est calculé en appliquant un pourcentage sur le prix de revente total, et pas seulement sur les bénéfices, chaque fois qu’une œuvre est revendue sur le marché.
– La redevance s’applique aux œuvres sujettes au droit de suite même lorsque le vendeur se sépare de l’œuvre pour moins cher qu’il ne l’a achetée.
L’équité ne voudrait-elle pas que le partage des bénéfices ne s’applique qu’à la plus-value ? Peut-être, mais la logistique et les économies d’échelle impliquent qu’agir ainsi « équitablement » rendrait la perception de cette taxe non rentable. L’autre inconvénient majeur du droit de suite est qu’il n’atteint pas vraiment son objectif. En effet, il profite surtout aux artistes qui réussissent, et non à ceux qui luttent. Quelle part des 9,8 millions de livres sterling versés en 2019 au Royaume-Uni est allée à des artistes comme Damien Hirst, David Hockney, Frank Auerbach et aux successions de Francis Bacon et Lucien Freud ? L’opinion publique serait-elle aussi favorable si les sociétés de recouvrement étaient vraiment transparentes sur ce point ?
UNE CHOSE DEVRAIT DISSUADER LE MARCHÉ DE L’ART DE MODIFIER LE DROIT DE SUITE : SON PLAFONNEMENT À 12 500 EUROS POUR CHAQUE REVENTE
Les artistes en difficulté devraient être soutenus et encouragés. Un système articulé autour du Fonds de bienfaisance des artistes et de son programme Step Change permettrait sans doute d’offrir une solution plus juste, et le marché pourrait également y contribuer.
Toutefois, une chose devrait dissuader le marché de l’art de modifier le droit de suite : son plafonnement à 12 500 euros pour chaque revente d’œuvre d’art. Un relèvement significatif de ce plafond ou sa suppression porterait gravement préjudice aux secteurs les plus rentables du marché britannique : l’art moderne et contemporain.
Les affaires se déplaceraient de façon spectaculaire vers les États-Unis où le droit de suite n’a pas été mis en place, privant de cette manne les artistes que représentent les agences de collectes, et ces dernières des 15% qu’elles prélèvent. Aussi, tant que les deux parties auront conscience de l’enjeu, cette trêve précaire devrait durer. Sinon, les paris sont ouverts.