Dans les années 1950, la première salle de ventes au monde était… l’Hôtel Drouot, maison qui accueille des enchères, installée à Paris. Son chiffre d’affaires dépassait régulièrement celui de Sotheby’s et Christie’s réunis, tandis que, plus largement, la capitale française pouvait s’enorgueillir de son statut de capitale mondiale de l’art.
Par la suite, les choses ont changé. Selon The Art Basel and UBS Global Art Market Report 2020, la France n’a totalisé en 2019 que 7 % du marché mondial de l’art – en progression toutefois par rapport aux 6 % de l’année précédente.
DES SIGNES DE CHANGEMENT SE FONT SENTIR
Mais aujourd’hui, il se pourrait qu’une révolution soit en marche. La raison la plus évidente en est le Brexit. La part de 20 % du marché mondial détenue par le Royaume-Uni en 2019 – qui le place en deuxième position derrière les États-Unis, avec 44 % – va-t-elle s’éroder progressivement, à mesure que les entreprises, les acheteurs et les vendeurs vont se délocaliser sur le continent ? Et Paris en sortira-t-il le grand vainqueur ?
Des signes de changement se font sentir. La France disposait déjà de l’une des plus faibles TVA à l’importation d’œuvres d’art, à 5,5 %. Seul le Royaume-Uni était en dessous, à 5 %. Maintenant que la Grande-Bretagne ne fait plus partie de l’Union européenne, la France serait un choix qui s’impose pour faire entrer des œuvres d’art en provenance de pays tiers : il suffirait de payer la TVA à l’importation dans l’Hexagone et de les expédier partout ailleurs dans l’UE sans avoir de droit de douane à payer.
Encourager le marché de l’art français est une nouvelle donne pour les exportations. Le 28 décembre, quelques jours avant que le Royaume-Uni ne quitte l’UE, la France a relevé les seuils à partir desquels les « passeports » d’exportation sont exigés, à savoir 300 000 euros pour les peintures de plus de 50 ans et à 100 000 euros pour les sculptures (lire notre édition du 13 janvier 2021). Ces certificats et les longues et laborieuses démarches administratives qu’ils impliquaient ont entravé le marché. Reste que les montants sont encore terriblement bas si l’Hexagone veut vraiment récupérer des parts de marché du Royaume-Uni.
ENCOURAGER LE MARCHÉ DE L’ART FRANÇAIS EST UNE NOUVELLE DONNE POUR LES EXPORTATIONS
Un autre signe que la France pourrait être sur la bonne voie a été la décision d’organiser, pour la première fois à Paris, une édition pop-up de 1-54, la foire d’art contemporain africain – en vrai, sous la forme d’une édition physique et non virtuelle ! La manifestation s’est tenue dans les locaux de Christie’s, du 20 au 23 janvier, ce qui a suscité la rumeur selon laquelle la maison de ventes pourrait s’intéresser au marché de l’art africain pour ses propres vacations à Paris.
Avec seulement vingt exposants et des précautions sanitaires drastiques, l’événement s’est tenu dans un format certes réduit, mais les ventes ont été au rendez-vous. L’un des exposants, la Galleria Continua, a également inauguré le 20 janvier un nouvel espace près du Centre Pompidou avec une exposition organisée par l’artiste JR (jusqu’au 20 février). David Zwirner et White Cube ont eux aussi ouvert des espaces à Paris, tandis que Kamel Mennour a renforcé sa présence dans la capitale.
«JE NE VOIS PAS D’AUTRE VILLE EUROPÉENNE CAPABLE DE PRENDRE LA RELÈVE DE LONDRES »
« Paris dispose déjà de l’infrastructure, de la logistique, du savoir-faire et [la France] est en outre centralisée, alors que l’Allemagne a plusieurs centres régionaux et une loi contraignante sur les exportations ; l’Italie pâtit, quant à elle, d’une bureaucratie épouvantable, explique Pierre Naquin, entrepreneur et fiscaliste français. Je ne vois pas d’autre ville européenne capable de prendre la relève de Londres. » Néanmoins, il n’imagine pas ce basculement se produire du jour au lendemain : « Londres sera toujours attrayant pour les citoyens non européens, y compris à cause de la langue anglaise, mais je pense que les Européens pourraient désormais regarder Paris d’un œil plus favorable », dit-il.
Clare McAndrew, économiste spécialiste du marché de l’art et gourou par excellence, voit la situation plutôt différemment. « Il est certain que Paris a aujourd’hui une carte à jouer au niveau du commerce européen ; les gens pensent que le marché va s’y déplacer après le Brexit, dit-elle. Mais la menace pourrait venir d’ailleurs, si les transporteurs décidaient d’éviter complètement l’Union européenne. » À l’entendre, la France ne devrait pas crier victoire trop vite.
Cet article a été publié originellement dans la newsletter Art Market Eye à laquelle vous pouvez vous abonner en cliquant ici.