La Corée du Sud a été l’un des premiers pays frappés par la pandémie de coronavirus dès la mi-février, mais la gestion de la crise sanitaire par le gouvernement du président Moon Jae-in a été saluée et fait aujourd’hui figure de modèle à suivre. Bien que les musées du pays soient fermés depuis février, les galeries d’art ont été autorisées à rester ouvertes. Plusieurs d’entre elles ont continué à accueillir le public, certaines sans interruption depuis le début de la crise, plaçant la Corée du Sud aux côtés de Taïwan et Hongkong comme l’un des rares pays sur la planète où la scène artistique est toujours active, ou du moins en état de fonctionnement, en ce printemps particulier.
DES VISITES SUR RENDEZ-VOUS, AVEC PORT DU MASQUE OBLIGATOIRE ET EN LAISSANT SES COORDONNÉES
« Les galeries privées avaient la possibilité de rester ouvertes ou de prendre la décision de fermer, explique Emma Son, directrice de la galerie Lehmann Maupin à Séoul. Lehmann Maupin est restée ouverte, tout comme Pace ». Elle ajoute que la galerie a décidé d’inaugurer une exposition de l’artiste autrichien Erwin Wurm le 20 février (jusqu’au 1er avril), en pleine explosion des cas de contamination à la suite d’un rassemblement d’une secte religieuse à Daegu, quatrième plus grande ville du pays. Pendant les deux premières semaines, « nous n’avions que quelques visiteurs par jour, environ cinq à dix, ce qui était extrêmement faible par rapport à la normale, précise-t-elle. Cependant, le nombre de visiteurs est allé crescendo au fil du temps, atteignant environ 50 à 60 personnes quotidiennement les derniers jours de l’exposition. » Erwin Wurm, à qui le Taipei Fine Arts Museum (TFAM) consacre actuellement une exposition personnelle (« One Minute in Taipei », jusqu’au 14 juin), a représenté environ 40 % des ventes de Lehmann Maupin à Séoul au cours de cette période. « Nous sommes restés ouverts au public pendant tout ce temps – et au fil des semaines, nous voyons le nombre de visiteurs de la galerie atteindre un niveau presque normal, explique son cofondateur, David Maupin. Les ventes se sont poursuivies à un rythme soutenu et nous reprenons nos activités comme d’habitude. C’est une situation remarquable au regard de celle que l’on connaît ailleurs dans le monde, avec des marchés au point mort. »
La galerie Arario, basée à Séoul et implantée à Cheonan et à Shanghai, en Chine, était en cours d’installation d’une exposition de la photographe féministe pionnière Youngsook Park lorsque l’épidémie a frappé. « Suivant notre propre décision », le vernissage a été reporté du 5 mars au 26 mars, explique la directrice de la galerie, Henna Joo. Après l’ouverture, les visiteurs ont été autorisés à entrer « uniquement sur rendez-vous, après confirmation; avec port du masque obligatoire; et sous réserve de laisser leurs coordonnées » au cas où la traçabilité des contacts s’avérerait nécessaire. Emma Son décrit des mesures similaires, notamment la mise à disposition de gel hydroalcoolique pour se désinfecter les mains et de masques jetables.
Selon Henna Joo, en Corée du Sud, « les collectionneurs privés ont presque cessé d’acheter [pendant la crise sanitaire] et cette situation va durer un certain temps. Pour pallier cet état de fait, j’ai le sentiment que les institutions font en sorte de multiplier les acquisitions afin de soutenir le marché de l’art. »
LA CORÉE ÉTANT CONNECTÉE À LA SCÈNE ARTISTIQUE MONDIALE, NOUS DEVONS NOUS INQUIÉTER DES EFFETS FINANCIERS NÉGATIFS À LONG TERME
Pendant ce temps, la Kukje Gallery, l’une des plus importantes enseignes coréennes, est fermée au public depuis le 8 février. Selon une porte-parole, « la galerie a décidé de manière autonome de fermer temporairement ses espaces de Séoul et de Busan relativement tôt [bien avant la déclaration de pandémie] afin de prévenir la propagation de la maladie parmi le personnel, les visiteurs et les clients. Cette décision s’est imposée naturellement car la galerie fait partie de la sphère publique avec beaucoup de circulation au quotidien. » Son personnel a développé son offre numérique « pour recalibrer les moyens de diffusion de la galerie en ces temps changeants » via une « plate-forme ouverte [qui] sera accessible au public sur le site Web de la galerie Kukje, sans avoir besoin de saisir des informations personnelles ».
Le basculement vers le numérique que l’on a pu observer à l’échelle mondiale s’est fait plus facilement qu’ailleurs en Corée du Sud, pays à la pointe des nouvelles technologies. « Depuis plus d’un an, Lehmann Maupin à Séoul (et dans le monde) collabore étroitement avec Eazel, une plate-forme en ligne fondée en Corée, qui propose des visites d’expositions en réalité virtuelle », explique Emma Son. Pourtant, « environ 60% des ventes que nous avons réalisées récemment en Corée ont été concrétisées après que les clients ont réellement vu les œuvres ».
La Corée du Sud a organisé des élections législatives début avril, et le Parti démocratique de Corée (Democratic Party of Korea : DPK) du président Moon Jae-in et ses alliés ont remporté 180 des 300 sièges à l’Assemblée nationale, la participation étant historiquement élevée malgré la pandémie. Des gants, des masques, des contrôles de température et une distanciation sociale étaient imposés aux électeurs. Des isoloirs séparés ont été installés pour toute personne présentant de la fièvre. Cette victoire électorale pour le président n’a « pas engendré de changement important » pour les arts, explique la commissaire et critique indépendante Pil Joo Jung. Selon elle, les budgets étant prioritairement consacré à la santé publique, « la situation d’urgence décrétée par le gouvernement pourrait affecter la subvention dévolue aux arts ». Pourtant, le « gouvernement sud-coréen a mis en place des mesures d’urgence pour faire face à la crise du Covid-19 à partir de fin février ; les artistes candidatent à ces aides. » En tant que commissaire, elle a déposé un dossier par le biais de la Seoul Foundation for Arts and Culture concernant un projet sur les femmes artistes travaillant à domicile. « Reste que les artistes individuels ont moins de chance de bénéficier de subventions, même si différents types d’aides peuvent être proposés », ajoute-t-elle.
Henna Joo, la directrice de la galerie Arario, ajoute que des prêts à faible taux d’intérêt sont proposés aux artistes, de même que des financements à destination des petites galeries pour monter des expositions. « Par rapport à d’autres pays, le gouvernement et le peuple coréens réagissent assez bien et calmement à la situation de crise sanitaire, même s’il y avait une peur et une panique énormes au tout début », déclare-t-elle. Les affaires sont revenues à la normale, « mais le problème est la récession économique et la baisse des acquisitions de la part des collectionneurs. De plus, les foires internationales ont toutes cessé et le monde entier semble à l’arrêt. La Corée étant connectée à la scène artistique mondiale, nous devons nous inquiéter des effets financiers négatifs à long terme », conclut-elle.