Il y a tout juste deux ans, les sociétés axées sur la blockchain et les arts utilisant cette technologie étaient le sujet le plus brûlant. De nombreuses conférences ont été organisées, expliquant ce qu’était la blockchain, soutenue et fréquentée par les start-up actives dans le domaine. Ces sociétés – souvent, mais pas toujours, fondées par des novices dans le monde de l’art – ont apporté de nouvelles façons d’enregistrer, de classer et d’identifier les œuvres, ainsi qu’un système d’« investissement fractionné », généralement avec leur propre cryptomonnaie.
Les choses ont depuis considérablement changé. Lors du « cryptowinter », entre décembre 2017 et février 2018, le cours du Bitcoin a chuté de près de 70 %. Cela a eu un effet dissuasif sur les entreprises qui avaient lancé leurs propres cryptomonnaies et espéraient faire des offres initiales de pièces de monnaie [Initial Coin Offerings] pour collecter des fonds, en vendant ces cryptomonnaies contre l’équivalent en monnaie fiduciaire (émise par les gouvernements). Comment ces start-up en ligne ont-elles évolué depuis ? Maecenas, basée à Singapour, est l’une de ces sociétés qui proposent un système de propriété fractionnée. Elle a levé 15,38 millions de dollars (environ 14 millions d’euros) par le biais d’une ICO en 2017 ; sa devise, ART, a atteint son cours le plus haut le 10 janvier 2018 à 2,58 dollars, mais au moment d’écrire ces lignes, elle s’échangeait contre environ 0,03 dollar seulement. En 2018, la société a vendu 31,5 % de 14Small Electric Chairs (1980) d’Andy Warhol. Depuis, elle a annoncé via le service de messagerie instantanée Telegram qu’un Picasso serait prochainement mis aux enchères. Cependant, fin janvier, Maecenas avait déclaré : « nous avions initialement prévu que la prochaine vente aux enchères ait lieu en mars, mais cette date est désormais peu probable… Nous ne sommes pas bloqués, nous faisons des progrès ». La firme avait initialement fait savoir qu’elle n’achèterait que des œuvres d’une valeur supérieure à 1 million de dollars. Cependant, ce montant semble avoir été révisé à la baisse à « plus de 500000 dollars ». Maecenas possède son propre bureau de change, Atex, dans lequel les jetons WHRL1 – représentant les parts dans le Warhol – peuvent être échangés, d’autres opérations de change pouvant être aussi réalisées, bien que les volumes semblent faibles.
HORMIS MAECENAS ET MASTERWORKS, LES AUTRES SOCIÉTÉS DE PROPRIÉTÉ FRACTIONNÉE SEMBLENT COMMERCIALISER DES PARTS D’ŒUVRES D’ART DE TRÈS FAIBLE VALEUR
Une autre société de propriété fractionnée, ArtSquare, a abandonné le passage par une ICO et a jusqu’à présent levé environ 500 000 livres sterling par le biais d’un tour de table traditionnel. Elle émet des tokens – les DAS – qui représentent des fractions des œuvres vendues. Pour le moment, une seule pièce, une sérigraphie d’Andy Warhol, datant de 1984 et intitulée Kiku, a vu sa valeur estimée (28 000 euros) convertie en jetons. Deux autres œuvres seraient « prêtes à être proposées à la propriété fractionnée » – un Alighiero Boetti et un Keith Haring. La société indique qu’elle ouvrira une plate-forme pour échanger les tokens « au cours de ce trimestre ».
De son côté, l’entreprise londonienne Feral Horses a déclaré à The Art Newspaper qu’à ce jour, elle avait vendu des parts dans 22 œuvres, pour environ 500 000 dollars. Certaines ont été entièrement cédées, d’autres en partie. Les œuvres proviennent « d’ateliers d’artistes, de galeries d’art ou de collectionneurs privés ». Une sculpture, Habemus Hominem de Jago, est évaluée à 180 000 livres sterling sur le site et compte 1 100 copropriétaires ; d’autres œuvres sont signées Banksy et Patrick Hughes, ce dernier via le marchand londonien Alon Zakaim.
Look Lateral, basé dans l’État de Washington (Ouest des États-Unis), qui « tague » les œuvres d’art, possède également une plateforme de blockchain pour la propriété fractionnée, Fimart. La compagnie a l’intention de lancer des jetons LOOK pour acheter des œuvres d’art. Au moment de la présentation à la presse de sa stratégie, les demandes de renseignements supplémentaires sont restées sans réponse.
Masterworks, basé aux États-Unis, constitue un modèle différent : la société achète les œuvres d’art puis en vend des parts. Elle est financée par Loup Ventures et enregistrée auprès de la Securities and Exchange Commission (SEC). Son inventaire comprend 1Colored Marilyn (Reversal Series) de Warhol, acheté pour 1,85 million de dollars en novembre 2017, et Coup de vent (1881) de Claude Monet, acheté en juin 2018 pour environ 6,3 millions de dollars. « Nous avons eu plusieurs autres offres en dehors de celles-ci, mais nous ne les dévoilons plus publiquement, a déclaré son fondateur, Scott Lynn. Depuis notre lancement avec le Warhol en mai dernier, nous en sommes aujourd’hui à notre septième offre d’une peinture à un million de dollars et plus ». Il ajoute qu’une plate-forme de transactions sera lancée à une date ultérieure.
Hormis Maecenas et Masterworks, les autres sociétés de propriété fractionnée semblent commercialiser des parts d’œuvres d’art de très faible valeur, les investissements commençant à un chiffre. Les artistes sont souvent peu connus, ou pour les noms les plus connus, les œuvres sont des multiples. Toutes semblent avoir freiné leurs ambitions initiales, reportant la mise en place de leurs propres bureaux de change dans de nombreux cas. Feral Horses affiche le pourcentage de hausse ou de perte de valeur de certaines de ses offres, lorsque les propriétaires revendent leurs parts sur la plateforme : celles-ci varient d’environ - 5 % à environ + 15 %, sur des montants de très faible valeur.
Il est trop tôt pour tirer des conclusions définitives concernant ces projets et d’autres, car l’optimisme excessif qui a prévalu à leur lancement ne s’est pas encore matérialisé. Les messages sur Telegram montrent une certaine frustration et impatience de la part de ceux qui ont acheté des tokens à Maecenas ou Look Lateral. Une personne écrivait récemment concernant Look Lateral : « Aucune crypto company ne vous donne de preuves solides. Vous devez croire en ce qu’ils vous disent ».